Une histoire de genres, c’est le guide que Lexie, jeune femme trans’ militante, a rédigé « pour comprendre et défendre les transidentités ». Celle qui officiait jusqu’ici sur Instagram sous le pseudo d’Aggressively_trans nous offre un ouvrage informatif plus que complet, adressé à la fois aux personnes cis comme aux personnes trans’. Nous avons pu lui poser quelques questions.
Une histoire de genres, c’est le guide que Lexie, jeune femme trans’ militante, a rédigé « pour comprendre et défendre les transidentités ». Celle qui officiait jusqu’ici sur Instagram sous le pseudo d’Agressively_trans nous offre un ouvrage informatif plus que complet, adressé à la fois aux personnes cis comme aux personnes trans’. Nous avons pu lui poser quelques questions.
De l’importance du vocabulaire
Avant toute chose, prenons le temps de faire un point sur le vocabulaire. De quoi parle-t-on exactement ? Quels sont les termes blessants ou désuets à bannir ? Petit tour d’horizon des mots que vous rencontrerez dans cet article :
– Transidentité : fait de ne pas se reconnaitre dans le genre qui nous a été assigné à la naissance.
– Personne trans’ (ou personne transgenre) (mais pas personne transsexuelle, ou encore moins « transsexuel ») : qui ne se reconnait pas dans son genre de naissance. On peut être une femme trans’ (comme Lexie), un homme trans’, ou bien une personne non-binaire. Attention, « trans’ » ne doit pas être utilisé seul, car les personnes trans’ sont avant tout des personnes, femme, homme, ou autre.
– Personne non-binaire : qui ne se reconnait ni dans le genre féminin, ni masculin.
– Personne cis (ou personne cisgenre) : qui se reconnait dans son genre de naissance.
– Transition(s) (sociale, administrative, médicale) : Il s’agit des procédés effectués (ou non) par une personne trans’ pour être en accord avec son genre (changement de prénom, de pronom, hormonothérapie, changement d’état civil…).
– Cisnormativité : fait que l’identité cis soit prise pour norme, et considérée comme un modèle régulant nos sociétés.
Rencontre avec Lexie, l’autrice
Lexie : « Je ne compte plus le nombre de fois où on m’a demandé « ce que j’étais », pas « de quel genre j’étais ». Les mots ont un poids : demander à une personne ce qu’elle est, c’est remettre même en cause si elle est humaine ou pas. On m’a dit aussi plusieurs fois que j’étais « bien réussie ». Mais c’est une tarte qui est réussie. Je suis une personne.
Comment s’est passé le processus d’écriture ?
C’était un vrai challenge d’écrire un livre, le format long m’était assez étranger. Sur Instagram, c’est 10 slides, donc c’est très rapide, et j’ai toujours voulu avoir un ton beaucoup plus direct et familier.
Le ton a été la chose la plus difficile à saisir : le parti pris de base était de parler à la fois aux personnes cisgenres et à la communauté trans’.
Ça a surtout été un gros travail de recherche, de synthèse, et d’organisation.
Est-ce qu’on est militant·e par défaut quand on est trans’ ?
On est pas forcément rendu·e militant·e mais pédagogue. Si on veut être respecté·e dans notre intégrité, on est amené·e à être obligé·e d’expliquer les choses. Cette pression à la pédagogie, c’est une réalité très prenante et très concrète.
Quand on est trans’, on n’échappe pas à un regard de curiosité, mais aussi un regard de marginalité. Effectivement, on est une minorité : ça c’est une observation très concrète et factuelle. Mais plus que cette question d’appartenir à une minorité, on nous renvoie à une marginalité. Et il y a une vraie nuance qui existe. On doit sans cesse expliquer que notre présence est légitime, que notre présence existe depuis un long moment. C’est pour ça que je crois que l’Histoire est un outil très intéressant.
Même dans nos rapports sociaux les plus intimes : cette question de la curiosité sexuelle, pour nos corps, qui a l’air anodine et qui a l’air d’être juste une curiosité de la part de la personne qui la vit et qui la transmet, dénote de rapports extrêmement politiques entre les identités et les corporalités. La présence trans’ dans ce qu’elle a de physique, de matériel, est ramenée à une majorité, à des normes qui sont attendues. Ces normes nous montrent à quel point l’hétérosexualité et la cisnormativité sont plus qu’une orientation sexuelle, romantique et une identité de genre. Ce sont des systèmes culturels, sociaux, qui ont des embranchements politiques et économiques.
Donc oui, on est rendu·e politique ça c’est certain. Rendu·e militant·e, je ne pense pas, mais rendu·e pédagogue, oui.
« Les attentes extrêmement figées, fermes, et contraintes autour de ce que c’est être un homme et être une femme, ne correspondent pas à ce que beaucoup de personnes cisgenres vivent profondément. »
Je suis une personne cis : pourquoi devrais-je m’intéresser aux questions de genre ?
Le genre, c’est une donnée historique, culturelle, sociale, qui est omniprésente. Le fait même d’avoir un prénom, et dans certaines cultures avoir un nom de famille découle directement du genre. C’est une donnée qui a des conséquences dans notre situation socio-économique, notre accès à la culture, notre classe sociale. Avoir un regard autocritique sur le genre, c’est avoir un regard autocritique sur comment on est organisé, pour vivre au quotidien avec des attentes, des injonctions. Quel jouet on a le droit d’utiliser, avec quelle personne on est censé·e relationner …
Je crois que les personnes cisgenres sont les premières concernées, dans le sens où c’est les personnes les plus nombreuses. Les attentes extrêmement figées, fermes, et contraintes autour de ce que c’est être un homme et être une femme, ne correspondent pas à ce que beaucoup de personnes cisgenres vivent profondément.
Et l’empathie dans tout ça ?
Je crois que l’empathie est nécessaire parce que c’est le premier pas vers plus de compréhension, et du coup plus d’inclusivité. Cette inclusivité manque à toutes les échelles de notre société. Même dans le féminisme, ce n’est pas quelque chose qui est acquis. Pour les femmes trans’, pour les personnes non binaires, pour les femmes racisées, pour les femmes musulmanes, pour les femmes grosses…
L’empathie, c’est cette démarche : « Je ne comprends pas et je ne vivrai jamais ce que tu vis, mais je vois qu’il y a une réalité qui est injuste, violente, et je veux l’entendre ». En ce moment, on parle beaucoup de libération des paroles. Mais les paroles sont libérées depuis très longtemps. Ce qui manquait, c’était une ouverture des oreilles. Je crois que cette empathie permet cette ouverture des oreilles, des consciences.
« On pense beaucoup la transidentité comme une affaire de corps. Une espèce de coquille vide, sans identité, sans caractère derrière. »
Qu’est-ce-que la transmisogynie ?
La transmisogynie, c’est la spécificité vécue par les femmes trans’, et comment on discrimine spécifiquement la féminité trans’.
« Les femmes trans sont des femmes », ça c’est une phrase qu’on entend régulièrement et qu’il faut marteler. Mais nous sommes des femmes qui vivons des choses spécifiques au fait d’être trans’. Le fait qu’on nous ramène toujours à des constructions biologiques ; le fait qu’il existe une fétichisation sexuelle spécifique aux femmes trans’. On est vraiment réduites à une expérience, à une sorte de bien exotique, rare, à essayer, complètement dénué d’une humanité. On pense beaucoup la transidentité comme une affaire de corps. Une espèce de coquille vide, sans identité, sans caractère derrière.
Et la transmisogynie, c’est vraiment ce phénomène : discriminer, stigmatiser, isoler, violenter physiquement et mentalement les femmes trans’ parce qu’elles sont des femmes trans’. Tous les ans, les meurtres de femmes trans’ (spécifiquement de femmes trans’ noires, racisées), sont en augmentation. On a jamais eu autant de suicides de jeunes dans la communauté trans’ qu’on en a eu en 2020.
Les conséquences sont très réelles. On parle de permettre à des personnes de vivre. Pas juste de « vivre bien ». De vivre.
Que revendiquent les personnes trans’ aujourd’hui ?
L’une des grandes revendications des féministes cis dans les années 50/60 a été de bien faire entendre qu’une femme n’était pas un utérus. C’est exactement ce qu’on dit : « les femmes ne sont pas des utérus », donc il peut y avoir des femmes trans’. Même avec notre biologie de naissance, nous sommes des femmes.
J’ai des espoirs et j’ai des revendications :
– J’ai l’espoir de voir les mouvements féministes devenir effectivement inclusifs.
– J’ai l’espoir de voir de plus en plus de personnes trans’ accéder à des rôles politiques, mais aussi devenir médecin, prof, conservateur·ice de musée…
– Je revendique le droit à l’autodétermination. Quand il s’agit de prendre des mesures qui concernent les transidentités, ça soit fait par des personnes trans’ dans l’idéal, ou systématiquement avec des personnes trans’. On est extrêmement loin du compte.
– Quand il s’agit de changer de mention de genre ou de prénom, ça soit du déclaratif. (NDLR : aujourd’hui, pour changer son prénom, il faut constituer un dossier avec des preuves et le déposer en mairie. Pour changer la mention de genre, la personne doit également monter un dossier et passer devant le tribunal de grande instance.)
– Quand il s’agit de transition médicale, on ne soit plus contrôlé·e par des associations de « spécialistes », mais qu’on soit accompagné·e, éclairé·e, éduqué·e par elles et eux et qu’ensuite on décide pour nous-mêmes.
– Je revendique aussi la mise en place de moments d’éducation. Dans l’Education Nationale, je pense que dès le collège ça peut être fait. Mais que ça soit aussi pour des services administratifs.
– J’aimerais qu’il y ait une surveillance et un contrôle plus strict de la transphobie. Aujourd’hui effectivement c’est un délit, mais quand il s’agit d’arriver devant des institutions, des instances de justice, la nature transphobe des actes rapportés par les victimes est souvent remise en question. Partant de là, la justice ne peut pas exister.
– J’aimerais que l’Etat fasse son travail. Aujourd’hui, avec la pandémie, les confinements, les couvre-feux, beaucoup de personnes trans’ ont été rendues plus précaires. C’est Acceptess T, et non l’Etat, qui a créé le Fonds d’Aide Social Trans (FAST) pour livrer des colis alimentaires aux personnes les plus précaires dans notre communauté. Aujourd’hui, il faut que ça change. Il faut au moins que les subventions soient plus importantes, au mieux que l’Etat fasse son boulot.
Je pense que ce sont mes revendications principales, c’est déjà énorme, et c’est déjà difficile à entendre pour beaucoup de personnes donc on va s’arrêter là. (rires)
Lexie, l’autrice de Une histoire de genres, et Léon, auteur de l’article
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Parution le 10 février 2021 – 224 pages