L’instant Lire à la Fnac : le rendez-vous de toutes les littératures à ne pas manquer. Baptiste Liger, directeur de la rédaction du magazine Lire Le Magazine Littéraire, partage ses conseils de lecture. En ce printemps, parlons littérature et télé-réalité ! Oui, c’est possible…
La télé-réalité et ses figures de proue
Baptiste Liger : « Est-ce que vous vous souvenez de Delphine du Loft 1 ? Oui, celle qui avait dit : “Qui c’est qui a pété ?”. Est-ce que vous vous souvenez encore de Félicien et sa fameuse Cum Cum Mania ? Et enfin, est-ce que ça vous dit quelque chose Marjolaine de Marjolaine et les millionnaires ? Si vous répondez oui à toutes ces questions, c’est que vous avez été marqués, pour ne pas dire traumatisés, par la télé-réalité.
Les écrivains aussi, la preuve. Qu’on le veuille ou non, qu’on les aime ou non, toutes ces émissions plus ou moins réalistes ou plus ou moins bidons, c’est selon… elles ont été parties constituantes de l’imaginaire collectif d’une génération de téléspectateurs, enfin non, de plusieurs générations. Voyez les mémoires de Loana, Elle m’appelait Miette, qui s’était écoulé à plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, et oui ! Ou un peu plus tard, celles de Nabilla, Trop vite. D’ailleurs, il y a un lien entre ces deux titres puisque c’est la même personne, Jean-François Kervéan, qui a signé ces deux livres. Mais ça, c’est une autre histoire.
Une brève histoire littéraire de la télé-réalité
Les romanciers aussi se sont emparés de ce phénomène mais en optant généralement plutôt pour l’uchronie, pour la parabole. Ainsi, notre Amélie Nothomb nationale avait imaginé un jeu de télé-réalité dans une reconstitution de camp de concentration. L’objet s’intitulait Acide sulfurique et on tient certainement là son roman le plus scandaleux, le plus provocateur.
Autre horreur imaginée par les romanciers, les jeux du cirque moderne avec des caméras un peu partout. Vous avez reconnu Hunger Games de Suzanne Collins qui a été porté au cinéma avec Jennifer Lawrence.
Littérature et télé-réalité : une vision moderne et actualisée
Mais aujourd’hui, deux romanciers ont décidé de regarder la télé-réalité plutôt dans une perspective historique et sociétale et, s’il vous plaît, les résultats sont en Blanche.
Téléréalité, tel est le titre de la dernière fiction, insistons sur ce mot, d’Aurélien Bélanger qu’on avait repéré avec La Théorie de l’information, une biographie très libre même si les noms avaient été changés de Xavier Niel. Il reprend un petit peu la même méthode en s’attachant au destin de Stéphane Courbit. Vous ne connaissez pas forcement son nom mais vous connaissez toutes ses émissions, par exemple, Loft Story, c’était lui. On suit l’ascension, le destin de ce petit gars venu de la Drôme et qui est devenu ce grand nom des médias dans un Paris qui est une sorte de fosse aux crocodiles, il faut bien le dire, où tous les coups bas sont permis. Ce qui est totalement fascinant dans Téléréalité, c’est de s’apercevoir que ce qui se passait du temps de Balzac, s’est réédité dans les années 90 et dans les années 2000. Ce sont les mêmes schémas qui se sont reproduit même si les industries ont changé, même si le commerce a changé. C’est vraiment, je vous assure, une expérience troublante de lecture. C’est fascinant.
Les plus anciens d’entre nous se souviennent certainement de Jacques Martin qui déclarait dans L’École des fans : “Les enfants sont formidables.”. Bon, l’imitation n’est pas terrible, je sais. Delphine De Vigan déclare, quant à elle, Les enfants sont rois, c’est l’intitulé de son roman très attendu. Au commencement, était une fan absolue des émissions de télé-réalité, mais en premier lieu de Loft Story. C’est quand même une œuvre matrice, il faut bien le reconnaître. Elle a d’ailleurs participé, cette jeune fille, à un programme de drague dans le noir qui n’a pas forcement marqué. Les plus pervers d’entre nous s’en souviennent. Frustration pour elle, donc, qu’elle va compenser, une fois mère, à travers le parcours de ses enfants. Car elle a décidé de faire de ses enfants de véritables vedettes, non pas de la télé-réalité, mais en appliquant les codes à une chaîne YouTube.
Le succès va être fracassant, ses deux bambins vont être de véritables vedettes. Mais un jour, la petite fille disparaît. Les enfants sont rois repose alors à la fois sur cette trame de polar qui est vraiment très bien menée et sur ce conflit de génération latent. Rappelons quand même que Delphine De Vigan avait fait un roman formidable avec le portrait de sa mère, Rien ne s’oppose à la nuit, qui, d’ailleurs, avait remporté le Prix du Roman Fnac. Enfin, ce roman très étonnant et assez ambitieux en fin de compte nous montre toute l’évolution de notre rapport à l’image, au fait que l’on existe d’une certaine manière à travers les écrans et parfois de manière excessive. Doit-on juger la réussite d’une vie, franchement, au nombre de likes qu’on reçoit ? Enfin, surtout, non, non mais cliquez, cliquez, cliquez ! S’il vous plaît. »
Rendez-vous le mois prochain pour le nouvel « Instant Lire à la Fnac » sur Fnac.com, dans vos magasins et dans les pages du magazine Lire.
