LE CERCLE LITTÉRAIRE – Le coup de cœur de Frédérique N. (Orly). Imbolo Mbue, écrivaine camerounaise installée au États-Unis, avait fait des débuts remarqués avec son premier roman, Voici venir les rêveurs. Son deuxième opus nous plonge au cœur d’un village de l’est du Cameroun affrontant une compagnie pétrolière américaine aux activités hautement polluantes.
Puissons-nous vivre longtemps
Le coup de cœur de Frédérique N. (Orly)
Imbolo Mbue, écrivaine camerounaise installée au États-Unis, avait fait des débuts remarqués avec son premier roman, Voici venir les rêveurs. Son deuxième opus nous plonge au cœur d’un village de l’est du Cameroun affrontant une compagnie pétrolière américaine aux activités hautement polluantes.
L’écrivaine
Imbolo Mbue est née à Limbe au Cameroun et émigre aux États-Unis à son adolescence. Après des études universitaires, c’est la lecture du livre de Toni Morrison, Le chant de Salomon qui va l’inciter à prendre la plume. Son premier roman publié, Voici venir les rêveurs, remporte le PEN/Faulkner Award en 2017. Elle y raconte les déboires d’une famille camerounaise venue chercher une vie meilleure à New-York à la veille de la crise des subprimes. Espoirs, désillusions, choc des cultures et cas de conscience, nous suivons des destins individuels qui peuvent être considérés comme des archétypes de vies d’immigrés dont les rêves sont « douchés » par la dure réalité : l’Amérique ne les attend pas et ce pays prospère est aussi celui de la pauvreté et de la précarité.
Une saga villageoise aux accents écolos
Changement d’esprit et de décor avec ce deuxième ouvrage. Il s’agit d’un roman choral situé en majeur partie à Kosawa, un village de l’est du Cameroun, donnant successivement la parole à des individus ou des groupes de villageois. Nous suivons l’histoire de Kosawa des années 1980 à nos jours. La firme pétrolière américaine Pexton s’installe à Kosawa dans les années 1960 et commence à forer, peu soucieuse de la santé des autochtones. Les fuites de pétrole venant des pipelines et les eaux polluées par les forages se répandent dans les rivières où les villageois pêchent et dans les terrains qu’ils cultivent, avec pour résultat une surmortalité infantile, l’appauvrissement des sols, des eaux impropres à la pêche et à la consommation que les villageois continuent de boire, faute de mieux. Dans les années 1980, une première génération va se révolter, puis leurs enfants, dont la jeune Thula, qui va même partir aux États-Unis grâce à une bourse d’étude, dans le seul but de revenir porter secours à son village. Elle y découvrira Frantz Fanon, les luttes des amérindiens et des afro-américains.
Pot de terre contre pot de fer
Sous la plume d’Imbolo Mbue, plusieurs générations de villageois se confient, racontent leur vie, leur combat contre la firme Pexton et le gouvernement qui fait de nombreuses victimes. Au regard des morts et des vies brisées, cela en vaut-il la peine ? Les avis sont partagés entre les résignés et les jusqu’au boutistes, entre les partisans de la négociation et les tenants d’une ligne plus violente. L’autrice ne prend pas vraiment parti, même si sa sympathie va bien sûr aux victimes. Comment des villageois combatifs mais sans instruction peuvent-ils lutter contre une multinationale et un État corrompu ? Le temps passe, les coutumes disparaissent et les mentalités évoluent, les nouvelles générations s’occidentalisent. L’histoire de ce combat devient ainsi un témoignage, sur un mode de vie disparu. et sans doute une histoire pour inciter à une prise de conscience.
La conclusion ?
Imbolo Mbue pourrait être cette Thula éduquée aux États-Unis mais qui ne renie pas ses origines et nous incite à une prise de conscience sur les conséquences de nos modes de vie. Une idée très bien résumée par les propos tenus à la fin du récit par cet ancien villageois ayant connu les combats des années 2000. « Nous questionnons parfois nos enfants à propos de leurs voitures. Elles sont de plus en plus gourmandes en carburant. Ont-ils pensé aux enfants qui souffriront, comme nous avons souffert jadis, pour qu’ils ne manquent jamais de carburant ? »
À méditer…
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Parution le 4 février 2021 – 432 pages