Critique

Les Funambules de Mohamed Aïssaoui : raconter la vie des exclus

29 septembre 2020
Par Frédérique
Les Funambules de Mohamed Aïssaoui : raconter la vie des exclus
©dr

Le héros/narrateur, dont on ne connaîtra le prénom qu’à la dernière page, est biographe d’anonymes. Ça consiste en quoi ? Il rencontre, écoute, retranscrit les paroles de gens que l’on dit sans histoires, qui à un moment de leur vie souhaitent se raconter, laisser un souvenir, souvent pour leurs enfants. Une rencontre va faire de lui un biographe d’oubliés.

 

Les funambules-Mohammed-AïssaouiChacun porte sa fêlure

Un neuropsychiatre lui propose de participer à son projet « l’écriture de la vie », mené au sein de plusieurs associations dites caritatives : en tant que biographe, il devra recueillir les histoires de personnes vulnérables et précaires, comme une aide pour se reconstruire, car « le silence est assassin ». Il pourra aussi s’entretenir avec des bénévoles. Le narrateur accepte d’autant plus facilement qu’il a lui aussi « une dette à l’égard de la vie ».

Né en Algérie, élevé par sa mère dans une extrême pauvreté, il est arrivé en France à l’âge de 9 ans, ne parlant pas la langue. Il a obtenu des diplômes universitaires grâce à « l’école de la République » et à la découverte des grands auteurs, mais sa mère est restée toute sa vie une « analphabète bilingue », obligée de lutter pour assurer un avenir à son fils.

Une autre raison pousse le héros à accepter cette mission : son désir de retrouver Nadia, un amour de jeunesse qu’il n’a pas su retenir, très investie dans plusieurs associations.

Personne n’est là par hasard

On découvre les coulisses des Restos du cœur et d’ATD Quart Monde, ainsi que Les Petits Frères des Pauvres et le Collectif Les Morts de la rue. Chacun à sa manière vient en aide aux exclus, une aide matérielle mais aussi juridique et morale, indispensable pour que les personnes puissent avoir une chance de s’en sortir. Une chance seulement, car l’équilibre est dur à atteindre pour ces êtres qui se déplacent sur un fil et peuvent chuter à tout moment.

Les bénévoles disent la richesse de leurs échanges, mais aussi les frustrations et les blessures dans des situations dramatiques ou sans espoir, la culpabilité face à leurs éventuelles erreurs, les bons et les mauvais souvenirs. On rencontre également des « personnes aidées » comme on dit aux Restos du cœur, avec chacun un parcours de vie différent. Ces entretiens replongent le biographe dans son enfance en banlieue parisienne, quand lui-même et sa mère étaient « des personnes aidées ». Personne ne fréquente ces lieux par hasard, précaires comme bénévoles.

Nous sommes tous des funambules

Ce récit très dense, souvent très émouvant mais qui réserve aussi des notes d’humour, sera sans doute une découverte pour ceux qui ne connaissent ces associations que de nom, ou seulement par la contribution en dons ou en argent qu’ils peuvent leur apporter. On entrevoit la diversité des activités des ONG, leur fonctionnement et les humains qui sont derrière. Tous insistent sur l’importance de la relation humaine, du soutien moral, aussi importants que les aides matérielles. Une autre idée revient souvent chez les bénévoles : la « normalité » est quelque chose de fragile, on tombe plus facilement qu’on le croit dans la précarité. Et les raisons peuvent être aussi bien matérielles que psychiques. Comme si nous étions tous un peu des funambules dans cette vie…

Pour le narrateur qui a tout fait pour rompre avec un passé difficile, cette expérience prend la forme d’un cheminement, un retour sur lui-même, peut-être une forme d’acceptation de ce qu’il est avec ses propres fêlures. Un funambule qui retrouve son équilibre…

Parution le 3 septembre 2020 – 224 pages

Les Funambules, Mohammed Aïssaoui (Gallimard) sur Fnac.com

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Frédérique
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