LE CERCLE LITTÉRAIRE – Le coup de cœur d’Anny M. (Marseille). Mikhaïl Boulgakov (1891-1940), médecin durant la première guerre mondiale, un des grands maîtres de la littérature russe, nous entraîne « narrateur véridique » avec panache et virtuosité, dans un récit, aux accents autobiographiques particulièrement diabolique, associant savamment le réel au fantastique avec romantisme, ironie, dérision…
Le Maître et Marguerite
Le coup de cœur d’Anny M. (Marseille)
Le Diable en visite à Moscou
Berlioz (pas le compositeur !), rédacteur en chef d’une « épaisse revue » et président d’une association littéraire, et Ivan Nikolaievich dit Biezdommy, poète de son état, débattent de l’existence de Jésus lorsqu’un inconnu se présentant comme expert en magie noire se mêle à la conversation et ne va pas manquer de les intriguer sérieusement.
Woland, « esprit du mal et seigneur des ombres » et ses acolytes, Béhémoth, un énorme chat qui parle, Fahoth-Koroviev, « au sourire suave et malicieux », Azazello « petit, roux et boiteux », sans oublier l’impudique sorcière Hella vont semer la panique au cœur de la capitale soviétique sous couvert d’hallucinations, d’hypnotisme ou autres maléfices ! Dans une ambiance tantôt burlesque ou dramatique se croiseront ou pas, des personnages cocasses, imbus d’eux-mêmes ou attachants, tels que le directeur, le comptable, l’administrateur et le présentateur du théâtre des Variétés, les présidents d’association de locataires, de Commissions pour l’acoustique des théâtres de Moscou ou des Spectacles et Délassements Comiques, un professeur en psychiatrie, un économiste, un critique, des littérateurs , un procurateur et Marguerite Nikolaievna belle et intelligente qui se désespère de revoir le Maître, écrivain maudit.
Contes philosophiques
Trois histoires s’entremêlent dans ce texte au vocabulaire ciselé à la perfection (plus de dix ans de gestation oblige), offrant différents niveaux de lecture. Celle des farces du Diable, tel un rédempteur, qui visent les bureaucrates incompétents, cupides, les médiocres, les mouchards encouragés par le régime de Staline, et la question du Bien et du Mal. Ensuite, apparaît Ponce Pilate à Jérusalem en l’an 33 qui laisse crucifier Jésus de Nazareth, « parmi tous les défauts humains, le plus grave est la lâcheté ». Et enfin, un romancier dit « le Maître » tourmenté par la censure, aidé par l’amour de Marguerite prête à tout sacrifier pour le retrouver, « Qui t’a dit qu’il n’existait pas, en ce bas monde, de véritable, de fidèle, d’éternel amour ! ».
Un chef d’œuvre absolu, véritable prouesse narrative entre fantaisie, satire sociale et politique, songe extravagant, et sublime passion amoureuse qui nous laisse admiratif d’un homme de lettres éminent dramaturge, intègre, volontaire, ardant défenseur de la liberté créatrice qui fut éreinté par la critique et qui « jusqu’au dernier jour de sa vie, continua à revoir et corriger ce roman sans jamais cependant nourrir le plus faible espoir de le voir publier un jour ».
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Paru le 22 novembre 2018 – 704 pages
Traduit du russe par Claude Ligny