LE CERCLE LITTÉRAIRE – Le coup de cœur d’Anny M. (Marseille). « Les nuits sont claires mais baignées de paresse et d’attente chagrine ». Le ton est donné… et s’offre à nous une histoire à la puissance narrative envoûtante, tissée en dehors de toute chronologie, sur l’enfance de Rahel et Estha, jumeaux de huit ans, vivant à Ayemenem (État du Kerala en Inde du Sud), séparés suite à un événement tragique.
Le Dieu des Petits Riens
Le coup de cœur de Anny M. (Marseille)
« Les nuits sont claires mais baignées de paresse et d’attente chagrine ». Le ton est donné… et s’offre à nous une histoire à la puissance narrative envoûtante, tissée en dehors de toute chronologie, sur l’enfance de Rahel et Estha, jumeaux de huit ans, vivant à Ayemenem (État du Kerala en Inde du Sud), séparés suite à un événement tragique.
Le canevas de la mémoire
Un récit éclaté telle la mémoire de Rahel âgée de trente et un ans, quand elle revient à Ayemenem.
À travers la réminiscence saccadée du traumatisme vécu, l’action se précise et rebondit selon les personnages concernés. Ammu « aux sourcils noirs arqués comme les ailes d’une mouette » qui avait perdu sa « Statue L’Égale », mère aimante et paumée au mari alcoolique et menteur. Chacko, l’oncle ayant fréquenté Oxford, piètre manager de la conserverie familiale, Mammachi, la grand-mère soumise, Papachi, l’acariâtre, Baby Kochamma, la grand-tante aigrie, Sophie, la cousine admirée. L’imprimeur K.N.M. Pillai, communiste opportuniste et l’Intouchable Velutha, menuisier charpentier accompli, fils de Vellya Paapen à l’œil de verre du clan des Paravens. Et les Petits Riens… comme des petits cailloux semés pour nous guider et nous aider à recomposer la trame du drame annoncé : un violon, un papillon, des fourmis, des kangourous, un transistor, un dé à coudre, des lunettes de soleil, une Plymouth bleu ciel, le cinéma Abhilash, une robe de Fée, les vieux cahiers d’écoliers, les senteurs, la clarté du jour, la nuit annonçant l’espoir, une petite barque…
L’ordre établi
C’est un regard percutant sur la réalité indienne à la fin des années 1960, lourdement ancrée dans son passé colonial où règne le système des castes et des amours interdits. Les hommes battent leur femme en toute impunité, les Intouchables doivent « se débrouiller pour arriver à marcher sans laisser la moindre trace », les divorcées sont des parias. Des règles strictes imposées par les Grands avec droit de vie ou de mort sur les Petits. Quelles conséquences auront le poids des convenances et des préjugés sur l’avenir des jumeaux ? Quelles traces laisseront l’hypocrisie, l’intimidation, le chantage ? Que peut provoquer la peur d’être moins aimé ? Rahel saura t-elle combler « le Trou dans l’Univers » ?
Que deviendra Estha pour qui « La vie n’était faite que de Débuts et ignorait les Fins, où Tout était pour Toujours » ? Et puis « le bonheur en rêve, est-ce qu’il compte comme le vrai ?»…
Arundhati Roy, romancière, essayiste et activiste pacifique indienne, née en 1961, signe un texte dont la construction pourrait déstabiliser le lecteur, mais c’est bien là sa force, l’intérêt et l’originalité.
Le défi pour une narration authentique, bouleversante, mêlant avec talent, poésie, humour subtil, réalité, onirisme et sensibilité. Et, les dernières pages d’une sensualité émouvante qui laissent
l’empreinte du « Dieu des frissons sur la peau et des sourires fulgurants »…
—
Parution avril 1998 – 400 pages
Traduit de l’anglais (Inde) par Claude Demanuelli