Luttant contre toutes les oppressions, Luis Sepulveda connaîtra la prison puis l’exil. Si la maladie aura eu raison de lui, ses écrits le garderont comme un combattant éternel pour la liberté.
« Il ne sait peut-être pas voler avec des ailes d’oiseau, mais en l’entendant j’ai toujours pensé qu’il volait avec ses mots. »
Hospitalisé depuis fin février des suites du covid-19, l’auteur de l’Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler, dont est extraite cette citation, s’est éteint ce 16 avril 2020, à Oviedo, en Espagne.
L’écrivain résistant
Militant de tous les combats, avant de s’engager avec Greenpeace pour l’écologie et les droits des animaux, ou ceux des hommes avec la F.I.D.H. (Fédération Internationale des Droits de l’Homme), Luis Sepúlveda rejoint les Jeunesses communistes de son pays natal, le Chili, dès l’âge de 12 ans. Un engagement précoce qui le mènera à soutenir au plus près Salvador Allende et sa révolution pacifique pour établir un État socialiste.
Après le coup d’état du 11 septembre 1973 instaurant une dictature militaire par la junte chilienne menée par Augusto Pinochet, Luis Sepúlveda finira vite dans les geôles de celui-ci, sauvé de justesse de la peine capitale. Condamné à 28 ans de prison, sa peine sera commuée par un exil en Suède, grâce à l’intervention d’Amnesty International. Bien décidé à ne pas respecter son lieu de villégiature forcée, le futur auteur du Vieux qui lisait des romans d’amour part sur les routes d’Amérique du Sud.
Vivant un temps parmi les Indiens Shuars, l’expérience lui inspirera ce premier roman. Rejoignant ensuite la révolution sandiniste à l’oeuvre au Nicaragua, son engagement ne l’aveuglera pas pour autant. Critique à l’égard de ceux qui trahissent la cause première de leur serment, il n’hésitera pas à faire part de sa déception contre « la belle révolution » qui finit en « enfer », à cause du « dogmatisme, l’uniformisation et le manque de générosité créative ». Son chemin est alors tout trouvé : raconter des histoires, rapporter la parole des plus humbles et des sans-voix et chanter son amour pour l’humanité pour résister à « l’empire de l’unidimensionnel, à la négation des valeurs qui ont humanisé la vie et qui s’appellent fraternité, solidarité, sens de la justice », dans des contes qui lui apporteront la reconnaissance du monde entier, et que l’on aurait tort de croire simplement destinés aux enfants.
Une encre douce au bout d’une plume acérée
Auteur protéiforme, édité en français par les Éditions Métaillé depuis 1992, Luis Sepúlveda entre en littérature en 1988 avec une fable aussi humoristique qu’émouvante, Le Vieux qui lisait des romans d’amour, contant l’histoire d’un homme qui se réfugie dans les livres à l’eau de rose pour échapper à la folie des hommes ravageant déjà la biodiversité amazonienne : « Il possédait l’antidote contre le redoutable venin de la vieillesse. Il savait lire. »
Contre la pollution et pour la solidarité, l’entraide et l’environnement, cette Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler, ravira les plus petits comme les plus grands : « Les humains sont hélas imprévisibles ! Souvent, avec les meilleures intentions du monde ils causent les pires malheurs. »
Pour dénoncer la chasse à la baleine, Le Monde du bout du monde vous emmènera sur l’extrême-sud du monde, où les terres de Patagonie regorgent de légendes de pirates et d’Indiens disparus : « Le langage ne suffit pas pour parler de la mer. »
Dans le récit plus autobiographique du Neveu d’Amérique, Luis Sepúlveda raconte le petot garçon qu’il a été partant à la recherche des origines de son grand-père anarchiste, à travers sa vie d’errances, de rêves et de convictions : « L’horloge sert à peser les retards. Il arrive aussi que l’horloge tombe en panne et comme l’auto perd de l’huile, l’horloge perd du temps. »
Dans les trente-cinq « histoires marginales » rassemblées dans le recueil intitulé en français Les Roses d’Atacama, c’est un peu de chacun de nous que l’on y trouvera. Partant d’une inscription relevée sur le camp de concentration de Bergen-Belsen en Allemagne : « J’étais ici et personne ne racontera mon histoire. », l’écrivain chilien rend justice aux héros anonymes, résistants envers et contre tout à la barbarie : « les blessures des héros de la littérature sont rapidement guéries par le baume de la lecture. »
Auteur protéiforme dont il ne faudrait pas oublier les œuvres plus politiques comme La Fin de l’Histoire ou La Folie de Pinochet, mais encore d’autres fables comme l’Histoire d’un escargot qui découvrit l’importance de la lenteur ou son dernier roman, publié en 2019, l’Histoire d’une baleine blanche, Luis Sepúlveda restera à jamais ce chantre de la liberté, inlassable conteur d’histoires pleines d’espoir et d’humanité.
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©Daniel-Mordzinski-2014