Si la lecture ou relecture de ce chef d’œuvre d’Albert Camus paraît urgente aujourd’hui, c’est bien sûr pour sa résonnance intense avec l’actualité, mais aussi pour la résistance de l’homme contre le mal qu’il relate. Sa révolte face l’absurde devient une lumineuse démonstration de la condition humaine, et une lecture salvatrice.
« – Naturellement, vous savez ce que c’est, Rieux ? – J’attends le résultat des analyses. – Moi, je le sais. Et je n’ai pas besoin d’analyses. J’ai fait une partie de ma carrière en Chine, et j’ai vu quelques cas à Paris, il y a une vingtaine d’années. Seulement, on n’a pas osé leur donner un nom, sur le moment… Et puis, comme disait un confrère : « C’est impossible, tout le monde sait qu’elle a disparu de l’Occident. » Oui, tout le monde le savait, sauf les morts. Allons, Rieux, vous savez aussi bien que moi ce que c’est… – Oui, Castel, dit-il, c’est à peine croyable. Mais il semble bien que ce soit la peste. »
La chronique d’une ville confinée
Il y eut des premiers cas qui se sont multipliés. Des premiers constats effarés. Certains n’ont pas voulu voir, d’autres ont refusé d’alerter par peur des conséquences d’une panique irraisonnée. Mais force est de constater qu’elle est là, cette maladie moyenâgeuse que beaucoup pensait éradiquée. La cité sera condamnée, fermée au reste du monde.
L’action se situe dans la ville d’Oran, dans les années 1940, encore sous la juridiction de l’Algérie française. Si Albert Camus se décide à relater cet épisode épidémique fictif mais inspiré de faits réels, c’est pour mieux en examiner l’âme humaine. Car, bien sûr, il y a des victimes en nombre, mais il y a la peur, partout. Celle qui vous fait perde la tête ou la raison, et qui dirige le destin de ces « prisonniers de la peste ». L’orgueil, la bêtise, le profit, le mensonge, la lâcheté, tout y sera disséqué. Mais aussi la bonté et le courage pour ceux qui mènent une lutte acharnée contre la maladie, ces « héros insignifiants et effacés ». La Peste est une véritable peinture de la condition humaine dans une ville cloîtrée, qui vit, survit et espère d’une seule voix. Car la peur rassemble et fait de l’épidémie une « affaire collective ».
« Je me sens plus de solidarité avec les vaincus qu’avec les saints. Je n’ai pas de goût, je crois, pour l’héroïsme et la sainteté. Ce qui m’intéresse, c’est d’être un homme. »
Une chronique de la résistance
La communauté ainsi rassemblée n’a plus d’autres choix que de résister. Et si ce roman a une portée philosophique, c’est par les thèmes récurrents à Camus que l’on y retrouve : l’absurde, la révolte et la lutte de l’homme contre le mal. Publiée en 1947, La Peste offre en effet une seconde lecture, celle d’utiliser l’épidémie pour dénoncer un fléau tout aussi dévastateur de l’humanité et qui vient de ravager l’Europe : le nazisme. Même s’il n’est jamais nommé, ce livre en est en effet une parabole, dans sa dénonciation, mais aussi sous forme d’avertissement. Car si « le bacille de la peste ne meurt jamais », celui du totalitarisme non plus.
Mise en garde contre toutes tyrannies qui menacent l’humanité, cette lecture est donc plus que nécessaire. Il avait déjà suscité un intérêt renouvelé en 2011, après la catastrophe de Fukushima. Aujourd’hui, il peut nous aider à comprendre les mécanismes et les conséquences d’une pandémie, pour sa connaissance et sa défense de la condition humaine.
« Le mal qui est dans le monde vient presque toujours de l’ignorance, et la bonne volonté peut faire autant de dégâts que la méchanceté si elle n’est pas éclairée. »
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Parution originale en juin 1947 – 368 pages
La Peste, Albert Camus (Gallimard) sur Fnac.com
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