2020 est une année marquante pour Aj Dungo. Alors qu’il sort son premier roman graphique, In waves, qui narre et illustre sa relation d’amour et de combat contre la maladie, il se voit décerné le prix BD Fnac France Inter 2020. À peine a-t-il posé les pieds sur le sol Français que nous le retrouvons pour notre exercice « Raconte-moi un dessin » où nous reconnaissons le personnage si humain et émouvant qu’on a eu plaisir à connaître dans son album. Entretien.
Pourquoi n’utilisez-vous que deux couleurs dans In waves ?
AJ Dungo : « Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour faire In waves. En tant que bédéaste indépendant, on dessine, on écrit, on trace, on encre, on colorie… Il a fallu que je trouve une façon de faire à la fois créative et limitée et c’est pour cela que je n’ai choisi que deux couleurs. Chacune ancrait le lecteur dans une chronologie différente comme on peut le voir dans mon livre qui oscille entre plusieurs temporalités. »
Vous avez choisi de mêler l’Histoire du surf à votre histoire personnelle avec Kristen. Pourquoi ?
« C’était une demande de mes éditeurs ! J’avais fait une sorte de projet historique sur un surfeur avant-gardiste qui s’appelait Tom Blake et quand mes éditeurs ont vu ce travail, ils m’ont dit : « Tu devrais faire un livre sur ce sujet, sur l’Histoire du surf. »
Pendant que nous travaillions là-dessus, ils ont souhaité que j’y ajoute un angle plus personnel et j’ai été mis au défi de faire les deux. »
« J’ai été mis au défi de faire les deux. »
Ça a été difficile pour vous d’introduire Kristen dans votre album ?
« Oui, beaucoup. C’était déjà dur avant et ça m’a pris du temps pour accepter de le faire de cette façon. Je ne savais pas si l’histoire de ma compagne Kristen devait être mêlée à autre chose…. Peut-être qu’elle aurait mérité son propre moment, sa propre formule…. Mais je me suis aussi dit que c’était l’occasion unique de faire ce livre, que j’avais eu de la chance d’avoir un contrat juste après avoir été diplômé. Alors j’ai accepté mais cette décision a été compliqué pour plusieurs raisons et Kristen venait juste de décédée… »
« Je ne savais pas si l’histoire de ma compagne Kristen devait être mêlée à autre chose… »
L’envie de faire de la BD a-t-elle toujours été en vous ?
« J’ai toujours voulu faire de la BD et écrire un livre. Je ne pensais pas que cela arriverait si vite ! Mais oui, ça a tout changé, je suis ici en train de vous parler ! Je dessine, on m’enregistre… Ça ne serait jamais arrivé si j’avais gardé mon boulot. »
On vous lit comme si on regardait un film. Combien de temps vous a pris la réalisation de cet album ?
« Le livre m’a pris deux ans et demi, presque trois. Je ne suis pas un écrivain mais un illustrateur et j’avais besoin d’être guidé par mon éditeur. Mais après un an et demi, j’avais bien pris la main et il ne me restait plus que les illustrations à réaliser.
Ce que vous dites sur cette idée de voir un film, Kristen aurait probablement dit la même chose de son vivant. Vous savez, notre vie ensemble, c’était vraiment comme un cliché, une tragique histoire d’amour, celle de quelqu’un qui disparaît alors que l’autre continue à vivre… Elle disait « Tu devrais écrire un livre sur notre vie » en rigolant, elle était comme ça, marrante mais elle était aussi d’un grand soutien pour moi.
Je pense que c’est avec elle que l’idée de raconter l’histoire comme un film est venue. C’est bien que vous l’ayez remarqué, j’apprécie ! »
« Je pense que c’est avec elle que l’idée de raconter l’histoire comme un film est venue. »
On remarque tout de suite comme vous parlez bien de Hawaï. Y-êtes-vous déjà allé ?
« Non, jamais. Mais j’ai beaucoup lu à ce sujet, c’est un endroit très spécial historiquement, culturellement et particulièrement en ce qui concerne le surf. Au début du projet, j’étais très méfiant, on est dans une époque d’appropriation où les personnes exploitent d’autres cultures, et ce n’est pas ce que je voulais faire, d’autant que je savais que ce n’était pas à moi de raconter leur Histoire. Je voulais lui rendre justice du mieux que je le pouvais, en faisant de mon mieux à partir des recherches que j’avais faites. J’ai aussi rencontré de très bonnes personnes pendant que j’écrivais mon livre et qui me conseillais sur ce que je devais écrire ou ce dont je devais parler. C’était vraiment super d’arriver sans presque rien savoir et de faire ces connaissances. Ils m’ont aidé tout le long parce qu’ils croyaient en ce projet. »
Vous avez des projets pour l’avenir ?
« Oui j’ai beaucoup de projets ! Mais pour le moment, In waves est ma priorité, c’est un grand pan de ma vie donc je compte voyager et en faire la promotion, rencontrer mes lecteurs et les journalistes, faire des interviews…
Mais bien sûr que je veux faire un autre livre, j’attends juste l’idée d’une histoire.
Vous utilisez peu de mots dans In waves. Pourquoi ce choix ?
« J’aime les choses concises. J’aime l’art, la littérature, la poésie et la musique parce qu’ils en disent beaucoup avec peu de mots. Et dans ma vie, avec les gens, je suis plus celui qui écoute que celui qui parle donc ça doit forcément jouer. Mais j’ai aussi fait ce choix parce que je voulais éviter d’en dire trop et que les moments parlent d’eux-mêmes. Lorsque j’écris, j’écris encore et encore, et puis j’élimine tout ce qui n’est pas nécessaire ou essentiel à l’histoire. Je me rappelle que les premières fois, j’écrivais si peu que mon éditeur m’a dit : « Tu dois écrire plus parce que les gens qui ne connaissent pas l’histoire ne comprendront pas. »
« Je pense aussi que pendant la phase d’écriture, j’étais effrayé »
Et c’est vrai, moi je connaissais tout sur la vie de Kristen, sur les faits, absolument tout. Je pense aussi que pendant la phase d’écriture, j’étais effrayé, et que je m’efforçais, en quelque sorte, de rester ambigu et indifférent. Mais plus j’arrivais à m’ouvrir et à raconter mon histoire, et plus le livre s’est amélioré. Et j’ai notamment vu tout ça dans les réactions de mes éditeurs et de mes lecteurs.
J’ai réalisé que je pouvais raconter une histoire, que je pouvais relater d’un moment sans vraiment en parler. Ça signifie beaucoup pour moi. »
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Paru le 21 août 2019