LE CERCLE LITTÉRAIRE – Le coup de cœur d’Evy V. (Sceaux). De Constantinople à Venise, puis de Venise à Constantinople, Metin Arditi nous entraîne au XVIème siècle dans la ronde de la vie (fictive) du Turquetto.
Le Turquetto
Le coup de cœur d’Evy V. (Sceaux)
Le Maître et l’élève
Le roman Le Turquetto s’ouvre sur une vraie-fausse expertise du tableau L’homme au gant, qui aurait révélé une anomalie chromatique dans la signature, « TICIANUS ». Les pigments du « T » seraient différents de ceux du « ICIANUS » et leur seraient chronologiquement antérieurs. Le tableau aurait donc été peint par l’un des élèves du Maître. À partir de cette vraie-fausse conclusion, Metin Arditi a imaginé la vie de cet apprenti.
Orphelin de mère, Elie Soriano s’évade dans le dessin, activité qu’il aime par-dessus tout. Ainsi, dès qu’il le peut, il file à la taverne pour y dessiner les clients, et auprès de Djellal Baba, le marchand d’encre, pour apprendre l’art de la calligraphie. Or, Elie est juif… et… ottoman.
Il n’a donc doublement pas le droit de dessiner, car dessiner revient à transgresser la Loi.
Aussi, à la mort de son père, comme plus rien ne le retient et que de surcroît, il n’envisage pas de passer le restant de sa vie à vendre des esclaves destinées au harem du vizir, il décide de prendre son destin en main en quittant Constantinople.
Dans l’atelier du peintre vénitien
Le voici donc, à 12 ans, en 1531, à bord d’un bateau pour Venise, où il se fait passer pour Ilyas Troyanos, un Grec, chrétien orthodoxe : il s’est façonné cette nouvelle identité afin de s’assurer la liberté de dessiner et de peindre. Et effectivement, il arrivera à intégrer l’atelier du Titien, où il deviendra Le Turquetto (petit Turc), d’après le surnom donné par le Maître.
Les commandes afflueront ; il sera reconnu comme un grand peintre. Puis, par précaution, il se convertira au catholicisme (précaution non négligeable à l’époque du pape Jules III et de ses inquisiteurs). Malgré tout, son tableau La Cène sera celui… qui le conduira à sa perte : une condamnation pour hérésie !
Pourtant le Turquetto avait tout mis en œuvre pour s’intégrer !
Sur fond d’une flamboyante rencontre entre les beautés du monde ottoman (les icônes byzantines, la calligraphie) et les magnificences de la peinture de la Renaissance italienne (le designo des artistes florentins, le colorito des peintres vénitiens), double influence qui se retrouvera dans les toiles du Turquetto, Metin Arditi aborde les questions du rapport entre l’art et le pouvoir, du difficile équilibre entre le poids des traditions et nos envies divergentes, mais surtout il se demande si le passé qui nous a constitués finit toujours par rattraper le présent que l’on s’est choisi.
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Paru le 1er juin 2013 – 288 pages