Après un premier roman unanimement salué, La Sauvage, l’Écossaise Jenni Fagan nous revient avec Les Buveurs de lumière, un troublant récit d’apprentissage, tout en clair-obscur, sur fond de crise climatique et de fin du monde.
2020, novembre, -6°C
Le verdict est sans appel : d’ici quelques mois, le thermomètre chutera dans les profondeurs du froid. La Terre contre-attaque et s’apprête à entraîner sa fragile humanité dans une nouvelle ère glacière… C’est là, au cœur d’un vaste désastre climatique, au seuil de ce qui ressemble à la fin du monde, que la jeune auteure écossaise Jenni Fagan a choisi de déposer délicatement les destinées intimes de ses Buveurs de lumière…
La rencontre du Nephilim et de la cireuse de lune
Dylan, très grand, très barbu et très tatoué se retrouve très triste et très seul, suite à la disparition brutale, coup sur coup, de Gunn, sa grand-mère, et de Vivienne, sa mère. C’est ainsi, doublement endeuillé, que ce Nephilim borderline quitte contraint et forcé son Babylon, ce cinéma d’art et d’essai londonien où il a grandi, travaillé et tout appris. Dans sa valise, un Tupperware et un pot de crème glacé. À l’intérieur ? Les cendres des deux femmes de son ancienne vie. Direction la nouvelle, dans le parc à caravanes de Ash Lane, à Clachan Fells, au nord de l’Écosse. Dylan y fera la connaissance de son étrange communauté. De drôles de marginaux. Des écorchés. Une star du porno, un taxidermiste, de jeunes toxicos adorateurs de Satan… Et il y a cette jeune fille, Stella, ado transgenre entre deux âges, en prise avec ses hormones, avec son corps, avec la vie, et dont Dylan deviendra très vite l’ami. Et il y a Constance, sa maman, jolie « cireuse de lune » au manteau à tête de loup, furieuse survivaliste indépendante dont il tombera tout aussi vite amoureux… Ils sont tous, à leur manière, des buveurs de lumière, s’évertuant à puiser, dans toutes les sources de clarté possibles, de quoi éclairer leur quotidien. De quoi se préparer à l’hiver qui arrive et survivre aux temps obscurs qui s’annoncent.
C’est à la fin que tout commence
Souvent très lointaine et inconcevable – afin de ne pas effrayer –, la vision de fin du monde de Jenni Fagan apparaît au contraire ici tout à fait plausible et saisissante. Inquiétante. Et c’est dans cet écrin d’apocalypse hivernale que l’auteure de La Sauvage parvient à tisser un émouvant roman d’apprentissage, imprégné de lumière et de désir d’avenir. Un livre de rupture. Climatique, bien sûr, mais aussi sentimentale, hormonale, philosophique, existentielle. Où tous les personnages, pris dans les exceptionnels frimas d’un hiver hors-du-commun, continuent de croire que tout est possible. Que tout peut changer pour un avenir meilleur. Et du contraste entre l’immensité du monde qui vacille et l’intimité de ce morceau d’humanité de Clachan Fells, Jenni Fagan fait jaillir un fantastique sentiment d’amour et d’espoir et signe un poème de fin du monde, étrange et beau. Magique.
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Parution le 24 août 2017 – 304 pages