Critique

1 mois / 1 classique : Paroles de Jacques Prévert

03 avril 2017
Par Melanie C.
1 mois / 1 classique : Paroles de Jacques Prévert
©DR

Voilà 40 ans que Jacques Prévert s’en est allé. Homme de théâtre (dans son groupe d’Octobre), de cinéma (auprès de Renoir, Carné) et de chansons (avec son ami Kosma), il aura surtout été ce poète de la rue, libre et indocile. Paroles, c’est le titre qu’il apposera à son tout premier recueil poétique, pièce écrite d’une œuvre entièrement vouée à l’oralité.

Paroles de Jacques Prevert

En vers (libres) et contre tout

Sur un mur, quelques graffitis gravés, expressions libres et urbaines immortalisées par le photographe Georges Brassaï. D’un rouge « révolte » comme ajouté hâtivement au pinceau, un nom inscrit, « Jacques Prévert », et un titre, « Paroles ». Telle est la couverture de l’édition originale du célèbre recueil publié en 1946 aux modestes et encore fragiles éditions du Point du jour de René Bertelé. Il est le premier à convaincre enfin Prévert de coucher sur le papier d’un seul et même livre l’ensemble de ses textes jusque-là éparpillés au quatre coins de revues d’avant-guerre. Un joli et juste pari remporté haut-la-main : 5000 exemplaires s’arrachent la première semaine, 25 000 la première année.

Liberté, je crie ton nom

Désordre bien ordonné s’énonce clairement… Paroles, ce sont 95 textes rassemblés en vrac (semble-t-il), libres de tout calibre. De la simple ligne (Les Paris stupides) au feuilleton d’une trentaine de pages (La Crosse en l’air) en passant par des textes courts (Le Cancre) ou des saynètes dialoguées (L’Accent grave). 95 textes libérés de toute ponctuation, déroulés en vers libres ou en prose (Paroles, anagramme de « la prose »).

Éperdument épris de liberté, l’insaisissable Prévert fait fi des cadres étriqués de la poésie classique pour la laisser sortir de son lit et explorer d’autres voies. Celles du mouvement et de l’agitation. Le poète joue avec les mots (« De deux choses lune / l’autre c’est le soleil », dans Le Paysage changeur), manipule le langage, invente, permute (« Un vieillard en or avec une montre en deuil / Une reine de peine avec un homme d’Angleterre », dans Cortège). Dans les Paroles de Jacques Prévert, tout se crée, tout se transforme pour s’ériger en une véritable ode à l’oralité.

Jacques Prévert n'est pas un poète

Je lutte donc je suis

Par ce jeu surréaliste autour du mot et du langage, Jacques Prévert bouscule, heurte, questionne nos réalités. Derrière la désinvolture onirique du poète se dissimule les combats bien réels de l’homme. Gardien éclairé de la langue du peuple, il fustige le parler bourgeois, préférant appeler « Soleil », « Cette fleur tellement vivante / Toute jaune toute brillante / Celle que les savants appellent Hélianthe » (Fleurs et couronnes). Certes poète de Paris et de l’amour, de l’enfance et des oiseaux, Prévert n’hésite pas à lancer ses traits cinglants à l’encontre des puissants. Intellectuels, politiques, militaires, religieux… Tous essuient sa vindicte. Ainsi dans La Crosse en l’air, évocation violente et brûlante du massacre d’Oviedo, des accords Laval/Mussolini et de la guerre d’Éthiopie, « mitrailleur » rime avec « Notre Seigneur », « Mussolini » avec « Jésus Christ ».

Avec Paroles, c’est la voix des humbles que l’on a voulu, le temps d’un livre, graver noir sur blanc. Au lendemain d’une double décennie 1930-1940 mise à feu et à sang, ce recueil résonnait (et résonne toujours !) comme une formidable invitation à se servir des mots et de la langue pour réinventer l’art, les idées et le monde. Une déclaration d’amour à l’enfant insouciant et à « l’homme à tête d’homme », celui de la rue, doublé d’un hymne au droit de désobéir.

Paroles, Jacques Prévert (Folio Gallimard) sur Fnac.com

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Article rédigé par
Melanie C.
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