Le chanteur et comédien Jacques Higelin a rejoint le Paradis païen ce 6 avril. Découvert par Jacques Canetti dans les années 1960, il laisse derrière lui une discographie empreinte de fulgurances poétiques, à l’image de son dernier opus Higelin 75 sorti en 2016, mais aussi d’une filmographie d’auteurs proches de sa folie douce et de son énergie poétique.
Jacques le comédien
On aurait tendance à l’oublier, mais Jacques Higelin était d’abord un comédien. Sur les planches, dès 1959 à l’âge de 19 ans, mais surtout au cinéma, avec Le Bonheur est pour demain de Henri Fabiani. Il n’arrêtera jamais de tourner, jusqu’en 2013 et le film Jappeloup de Christian Duguay. Il aura entre temps montré son visage de clown triste et imprévisible devant les caméras d Yves Robert (Bébert et l’Omnibus), Marin Karmitz (Sept jours ailleurs), Gérard Pirès (Elle court, elle court, la banlieue), Claude Lelouch (Un autre homme, une autre chance) ou encore Jacques Doillon (Un homme à la mer) et Romain Goupil (A mort la mort !). Un virus du cinéma qu’il transmettra, en même temps que celui de la musique, à ses enfants Arthur H et Izia Higelin qui, à eux deux, assurent haut la main une brillante relève.
Et Higelin le chanteur
Mais c’est dès 1966 que Jacques Higelin se lance corps et âme dans la musique. Très vite, il rencontre des artistes qui feront cœur avec son œuvre, telle Brigitte Fontaine, éternelle sœur artistique ou Louis Bertignac. Il se fait rockeur avec les albums BBH 75, No Man’s Land et Irradié, au succès public retentissant, ou plus expérimental et poétique avec le double album Champagne pour tout le monde et Caviar pour les autres… Avec pour modèles Léo Ferré ou Boris Vian, il tente tout de même une incursion dans la variété française plus traditionnelle, comme avec l’album Tombé du ciel en 1988 ou Aux héros de la voltige, sans pour autant quitter les démons qui l’habitent.
Un dernier album studio aussi beau que crépusculaire
À 75 ans, Higelin sortait son 19e album studio, Higelin 75, en référence à son âge et aussi en clin d’oeil à BBH 75, album mythique. L’inspiration était toujours là. Le temps, thème obsessionnel chez Higelin, semblait, en effet, ne pas avoir d’emprise sur l’artiste, peut-être parce que, tout simplement, Higelin était… est un être intemporel. Pour ce dernier album, il s’était entouré de complices de longue date, comme Rodolphe Burger, Dominique Mahut, mais aussi de petits nouveaux dans son entourage, comme Edith Fambuena. Deux titres forts parsèment cet opus : Elle est si touchante, qui est une vraie déclaration d’amour d’un père à sa fille Izia, et L’emploi du temps. On pourrait s’arrêter aussi sur J’fume, imprégnée de dérision et d’humour très noir… « En attendant que le fossoyeur me creuse une tombe au Père Lachaise… En attendant que le temps s’arrête et que le ciel me tombe sur la tête, j’fume, une provoc – l’embolie pulmonaire, l’infarctus, le cancer, la nécrose, la trombose artérielle »... Et dans Lonesome Bad Boy, on découvre une chevauchée dans les grands espaces américains, où Higelin aimait à se croire aventurier desperado.
À 75 ans, Higelin n’avait alors rien perdu de sa verve. Les mots fusaient, claquaient, se fracassaient encore les uns contre les autres, emportant l’auditeur non averti dans un ouragan dont la violence verbale pouvait choquer, notamment dans A feu et à sang, un morceau de plus de 20 minutes. Un album où Higelin, était plus libre que jamais… Et c’est encore plus libre que jamais qu’il s’en est retourné vers ce ciel dont il était tombé.
