Du haut de ses 20 ans, Line Papin fait son entrée dans la rentrée littéraire 2016 en publiant chez Stock son premier roman, L’Éveil. Avec passion et lyrisme, mais non sans une certaine dose d’ironie, elle rend hommage à la ville de Hanoï où elle a grandi. Quatre jeunes gens, deux filles et deux garçons, vont se croiser, s’aimer mais aussi souffrir, au milieu des rues grouillantes de vie. Un récit étonnant de maturité et envoûtant par sa poésie.
Je t’aime
Notre premier guide, c’est Juliet, une Australienne de 17 ans aux boucles blondes. Fille d’ambassadeur, elle est invitée à une soirée d’expatriés où elle se rend seule. Elle observe les convives plus âgés s’enivrer et danser au cours de la nuit, avant d’arrêter son regard sur un homme, seul lui aussi. C’est un coup de foudre, le début d’une fascination totale. Elle le suit chez lui, où ils passent une première nuit, encore innocente. Cela aurait pu s’arrêter là, mais habitée par un nouveau désir qu’elle peine à s’expliquer – le fameux éveil – elle retourne le voir, et ils entament alors une liaison dont elle ne peut plus se passer, dans le huis clos de la chambre spartiate.
…moi non plus
La narration passe ensuite du côté de l’homme (il reste sans nom), serveur dans un restaurant français, L’Ermitage. La divergence de leurs points de vue surprend parfois, et l’alternance entre leurs voix donne une vision plus complète des évènements. D’un caractère grave et cynique, il apprécie Juliet et son adoration, mais une distanciation constante l’empêche de lui rendre cet amour. Pour lui c’est un chat, dont elle adopte les comportements. Son unique confident est Raphaël, un collègue cuisinier, compagnon fidèle des excès nocturnes. Quand il n’occupe pas son esprit à la lecture, il ressasse les instants de bonheur passés auprès de Laura, une jeune femme tourmentée et alcoolique, aussi désabusée que lui. Avec cette amante-là, ils s’étaient compris.
Hanoï, ville de sensations
L’Éveil est une déclaration d’amour à Hanoï, capitale du Vietnam et la deuxième ville la plus peuplée du pays. Les personnages errent dans ce paysage multiple, où les ruelles sombres en terre s’opposent aux grandes avenues, sans oublier les parcs avec leurs lacs, les petits marchands, les piscines publiques… Privilégiée et habituée des belles propriétés privées, Juliet découvre aux côtés de son homme le côté plus populaire et authentique de la ville.
Line Papin retranscrit admirablement la sensualité du lieu, car Hanoï est un plaisir de tous les sens : la chaleur, l’humidité pluvieuse, les jeux d’ombre, les odeurs alléchantes des stands de rue, les cris des passants, etc. Comme les personnages, le lecteur ressort enivré de l’expérience sensorielle. Cette focalisation sur l’ambiance rappelle parfois l’œuvre de Marguerite Duras, marquée aussi par ses expériences d’expatriée en Asie, dont le Vietnam.
L’éveil d’une auteure
Adoubée par Annie Ernaux – les deux femmes se sont rencontrées pour un entretien dans le magazine Elle – Line Papin partage avec cette auteure un goût pour les récits inspirés de leur vécu, les questions de classe sociale et l’exploration de l’amour dans tous ses tourments. Mais Line Papin préfère une approche nettement moins sociologique, et la narration de L’Éveil alterne entre envolées lyriques, souvenirs imbibés, épisodes sensoriels, ou dialogues réalistes.
Là où Juliet parle d’un éveil sensoriel et sentimental, une découverte de soi-même, la langue maîtrisée et poétique de Line Papin signe aussi l’éveil d’une auteure, dont on attend les prochaines œuvres avec impatience.
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Paru le 24 août 2016 – 256 pages