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Seth Gueko, le « Professeur Punchline » en remet une couche

15 octobre 2015
Par Grégory
Seth Gueko, le « Professeur Punchline » en remet une couche

Depuis le temps que Seth Gueko se surnomme le professeur punchline, il fallait bien qu’il en arrive à appeler de la sorte un de ces albums. Et on est bien en face de ce que l’on peut considérer comme son meilleur disque à ce jour…

Depuis le temps que Seth Gueko se surnomme le professeur punchline, il fallait bien qu’il en arrive à appeler de la sorte un de ces albums. Et pourtant, si elles sont évidemment bien présentes dans le disque, elles sont paradoxalement peut-être moins nombreuses dans ce disque que dans ses précédents projets. On s’explique.

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Seth Gueko a bâti quasiment toute sa carrière sur le fait qu’il est une véritable machine à punchline humaine : sur disque, en vidéo, en interview, le rappeur de Saint-Ouen-l’Aumône n’arrête jamais. Mais, dans Professeur Punchline, on a l’impression qu’elles sont moins gratuites, que l’exercice vise un but précis et que chacune doit faire mouche et plus seulement servir de prétexte à un bon mot ou à une vanne. Comme si Seth Gueko avait canalisé son envie de faire des punchlines à tout bout de champ pour rechercher une efficacité maximale.

De fait, Professeur punchline est certainement le projet de Seth Gueko le plus abouti, le plus dense, le plus lourd. Comme si, d’un coup ou presque, les différents personnages qui l’habitent et qui ont pris le dessus tour à tour (le forain, le fils de Jacques Mes, Nicolas, etc.) avaient réussi une synthèse pour ne former plus qu’un. Et c’est de cette unité que nait ce qui apparaît clairement comme une force nouvelle. Même si les références citées plus haut sont évidemment toujours présentes car faisant partie indéniable de l’ADN de Seth, on a tout de même l’impression qu’il s’éparpille moins, ce qui rend le tout beaucoup plus compact.

Si c’est vrai pour le rappeur, ça l’est forcément pour le disque qui se veut plus regroupé, une tendance que l’on avait déjà senti dans Bad Cowboy son précédent opus qui possédait déjà une cohérence beaucoup plus affirmée. Ce « petit quelque chose » semble pourtant se concrétiser totalement ici. Cela tient peut-être à plusieurs facteurs qui, s’ils ne sont pas clairement explicités, sont quand même racontés entre les lignes.

Seth Gueko

La première raison, c’est peut-être son départ de la France et son installation en Thaïlande qui l’a évidemment apaisé. Il le reconnaît lui-même, cela lui a enlevé parano et névrose et il apparaît clairement que cette nouvelle vie l’a libéré. En témoigne un morceau comme Seth Gueko Bar qui décrit une soirée dans l’établissement que Seth a ouvert en Thaïlande : on sent son kif, son plaisir à raconter cette histoire, à vivre ses ambiances, comme dans un rêve. Il est évident qu’il est bien plus heureux là-bas qu’ici, même si jamais il ne renie son passé ou ses origines, c’est tout le sens d’un morceau comme Titi parisien notamment. Il y a une autre piste de réflexion dans Les démons de Jésus, un morceau où il est évident que l’on a affaire à quelqu’un de plus calme, de plus posé.

La deuxième raison que l’on peut ressentir à travers quelques mots, quelques phrases, c’est sans doute sa nouvelle relation avec la religion. Là aussi, Seth Gueko a peut-être trouvé une espèce de sérénité qu’il lui manquait auparavant. On voit bien que c’est un thème qui revient plusieurs fois, toujours traité avec respect. Il s’en dégage une humilité qu’on ne connaissait pas forcément à ce fort en gueule.

L’autre force de Seth Gueko dans ce disque, c’est sa faculté incroyable d’adaptation. Conscient de ce qui se passe en France et du renouveau du rap hardcore incarné par une jeunesse triomphante et sans scrupules, Seth, plutôt que de faire prévaloir sa position d’« ancien » et de regarder ça de loin, préfère inviter sur son disque les nouveaux représentants de ce mouvement, histoire de partager quelques titres.

C’est ainsi que l’on retrouve Gradur et Lacrim sur Professeur Punchline, mais aussi Misa, Niska, le frère AlKpote, Sadek et Joke. Il faut dire que « la communauté d’idées » entre ses rappeurs est évidente : il y a chez chacun d’eux de la dureté, de la violence, des histoires de drogue, d’alcool, la misère, des références sexuelles évidentes et assumées. En se confrontant à ces rappeurs plus « récents », Seth Gueko montre qu’il n’a rien perdu de sa verve (au contraire), qu’il est bien un poète au langage fleuri certes mais qui manie les mots avec aisance et qui élève la punchline au rang d’art dans lequel il est évidemment passé maître. Dans cette poésie, il ne faut pas tout prendre au premier degré, mais bien chercher le second, beaucoup plus révélateur. Avec Seth Gueko, il faut savoir lire entre les punchlines !

En insistant moins sur les gimmicks et en se recentrant, le rappeur du 95 montre qu’il est costaud dans son écriture et comme il n’a pas arrêté de progresser niveau flow, on est bien en face de ce que l’on peut considérer comme son meilleur disque à ce jour. Forcément, comme il se sent fort, le rap français en prend régulièrement pour son grade. Le professeur punchline n’a aucune envie de se faire ravir son titre et enterre régulièrement la contestation via des egotrips brûlants ou quelques phrases bien hardcores disséminées ici et là… On peut d’ailleurs se demander si cette nouvelle force que l’on évoquait plus haut ne lui a pas donné envie de crier : on arrête de jouer, je suis le patron, point barre ! On a quand même l’impression que pour Seth, un certain temps vient de prendre fin et qu’il s’agit maintenant de s’imposer, en force si besoin.

Le choix des prods, pas trap pour un sou, mais résolument modernes, laisse aussi une impression de plénitude et l’idée d’un artiste qui maîtrise totalement son sujet de A à Z. Elles confirment l’impression que le rap de Seth Gueko est épuré et débarrassé de toutes les scories qui pouvaient le gêner auparavant. C’est plus simple, plus efficace et cela dénote une vraie belle évolution. Les punchlines sont plus fortes et montrent à quel point son écriture que l’on pense basée sur le jeu de mots peut parfois être bien plus compliquée que prévue… Surtout, pour rapper de cette façon, il faut dérouler une grosse technique car il n’est jamais évident de faire chanter une langue aussi riche.

Alors même s’il revendique son côté « Gros gamin » que l’on reconnaît bien, Seth Gueko ne peut le nier : il a changé. Et dans le bon sens. Résultat, on le répète, mais Professeur Punchline est certainement son projet le plus abouti.

Retrouvez Seth Gueko en concert au Trabendo le 20 novembre 2015

Article rédigé par
Grégory
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