RENTRÉE LITTÉRAIRE – Roman très attendu de l’auteur de Ô Maria et du Rapt, Fils du Shéol est une œuvre d’une grande force qui interroge la montée d’une barbarie et d’un mal qui ont hanté toute la première moitié du XXe siècle. Anouar Benmalek, qui a été qualifié par L’Express de « Faulkner méditerranéen » s’y affirme plus que jamais comme l’un des plus grands écrivains algériens actuels.
Le XXe siècle à rebours
C’est à travers trois destins, celui de trois hommes, aux trois âges de la vie, que s’ébauche ce portrait du mal qui a agité le XXe siècle. Le premier est celui d’un jeune garçon juif prénommé Karl, dont la courte vie se prolongera dans l’au-delà le temps d’une contemplation du passé. Viennent ensuite celui de son père et de son grand-père que l’on suivra à différentes périodes de leur vie. Le roman commence dans la Pologne des camps de la mort au tout début des années 1940. Il se termine dans le sud-ouest africain, au commencement du XXe siècle, en pleine guerre coloniale initiée par l’Allemagne wilhelmienne contre le peuple héréro. Trois destins, trois histoires d’amour, deux génocides…
Anouar Benmalek nous fait remonter le temps, suivant le fil d’une violence se déterminant dans la dégradation de l’autre à l’aune de ses différences. En remontant une filiation à la fois particulière et banalement commune, le romancier algérien cherche en quelques sortes les origines d’une idéologie raciste moderne, dans l’altérité profonde d’une Afrique paradoxalement aux sources de l’humanité toute entière.
Un enfant au royaume des morts
C’est du Shéol, cet outre-tombe sans tombeau, dans ce lieu d’après-vie transitoire de la culture juive, que l’âme sans postérité du jeune Karl va voir à rebours le calvaire de son père comme Sonderkommando, mais aussi la première rencontre de ses parents en Algérie, ainsi que l’amour tragique de son grand-père pour Hitjiverwe, la belle héréro.
La présence d’un enfant dans cet endroit hors du monde, fictif, offre au romancier la possibilité de ce regard innocent, détaché, permettant, non pas un relativisme, mais bien un recul sur la nature d’un drame que d’autres, plus lointains ou sans témoignages audibles, annonçaient déjà à d’autres échelles, victimes de la même barbarie.
Histoire de ce qui n’est pas
L’auteur insiste aussi sur les amours inabouties de ses trois principaux personnages, pour mieux montrer, qu’à travers eux, on se trouve inexorablement amputé de possibles, de promesses diverses et colorées.
D’une belle prose, à la fois claire et raffinée, Anouar Benmalek nous plonge à rebours dans une Histoire qui ne s’est pas faite et ne le sera jamais. Il nous fait voir des généalogies aux branches sans fruit, mais dont les absences ou échecs déterminent les aspects d’un passé qui nous étreint et nous façonne toujours à divers degrés, dans une autre forme de descendance. Fils du Shéol est l’un des très beaux romans de la rentrée 2015 et fait partie des 30 romans sélectionnés pour le prix du roman Fnac 2015.
Parution le 19 août