On parle de l’impression 3D comme de la grande innovation qui pourrait changer nos vies. Petit décryptage.
Evoquée dès les années 60 dans des ouvrages d’anticipation, l’impression 3D (dite impression tridimensionnelle) est en train de devenir une réalité aujourd’hui. Et avec elle s’ouvre un immense champ d’applications, et peut-être même une mutation dans notre façon de travailler, de consommer, et… de nous soigner, comme nous le verrons plus loin. Après une -très brève- présentation technique, nous allons tenter d’aborder les différents enjeux de cette révolution technique.
Comment ça marche ?
Le principe de l’impression 3D n’est finalement pas très éloigné de celui de l’impression classique que nous connaissons. Sur nos imprimantes à jet d’encre actuelles, les buses déposent des couches d’encre sur le support papier. L’imprimante 3D fonctionne de la même manière, à la différence que les buses déposent des couches successives de matériau fondu -souvent du plastique ABS pour les modèles grand public- jusqu’à obtention du produit dessiné par l’opérateur.
Bien entendu cette explication est largement simplifiée, la réalité est plus complexe et différentes techniques coexistent, mais le but ici est simplement de vous donner une image du principe général. On voit bien que 2 paramètres sont essentiels, la qualité du travail de modélisation en amont, et la matière utilisée pour le résultat final. Si l’ABS, pour des raisons de coût, est actuellement omniprésent sur les imprimantes 3D grand public, des modèles professionnels -encore hors de prix- permettent de travailler d’autres matières, et notamment le métal, le verre ou la céramique. Tout cela est bien joli, mais quelle est l’utilité d’imprimer en 3D ? Les applications sont multiples, tant pour un usage particulier que professionnel. Les dangers aussi hélas, comme souvent.
Les champs d’applications :
– Dans le domaine de la santé, il sera possible de modéliser des prothèses et de les imprimer pour un coût largement inférieur aux standards actuels. Qu’il s’agisse d’une couronne dentaire ou d’une prothèse orthopédique, les économies potentielles pourraient être énormes. Tous ceux qui sont passés par la case dentiste avec des implants hors de prix apprécieront. Avec pour effet de donner un accès au soins à des populations, de plus en plus nombreuses, qui en sont aujourd’hui exclues. L’autre avantage est le gain de temps, aussi bien pour concevoir une prothèse dentaire qu’un genou articulé. Et que dire des lunettes, qui pourront être fabriquées sur mesure et rapidement, contribuant à abaisser leur coût élevé de nos jours !
– Dans l’industrie, il est déjà possible de concevoir des prototypes, disponibles rapidement et à moindre coût. On peut imaginer que, les progrès aidant, la production en masse de produits finis deviendra bientôt une réalité. Et beaucoup imaginent déjà pouvoir relocaliser notre industrie, le différentiel du coût de main d’œuvre devenant dès lors obsolète. Et je ne parle même pas des délais. Quand il faut des mois aujourd’hui entre le lancement de la fabrication d’un produit en Chine ou en Thaïlande et sa disponibilité dans nos contrées, quelques jours suffiront, avec en sus l’économie du coût de transport et la maîtrise du processus de fabrication.
Il existe un autre usage qui risque de rencontrer l’adhésion : qui n’a jamais pesté contre l’impossibilité de retrouver une pièce détachée d’un appareil qui n’est plus fabriqué ? Avec l’impression 3D, il sera facile aux fabricants de sauvegarder la modélisation des dites pièces détachées, et de les fabriquer à la demande. Plus de stock aux coûts exorbitants, plus de logistique lourde, et une meilleure satisfaction client. Dans le même ordre d’idée, et en tenant compte de l’arrivée croissante sur le marché de produits connectés, pourquoi ne pas imaginer un réfrigérateur ou une machine à laver qui, lors d’une panne, envoient un diagnostic au SAV de la marque qui peut dès lors lancer la production de la pièce de remplacement ? Il ne reste plus alors qu’à programmer une intervention à domicile, sans perte de temps en diagnostic sur site ni problème de disponibilité des pièces de rechange.
– Chez les particuliers, on peut aujourd’hui concevoir un objet personnalisé (statue, tasse, assiette, jouet, etc…) par ordinateur -voire à partir d’une application sur smartphone ou tablette– et recevoir son objet 3 jours plus tard à domicile. La possibilité vous est donc donnée de laisser libre court à votre expression artistique et à vos délires, pour créer des objets uniques. Et on peut penser que cela incitera de nombreux artisans ou artistes en herbe à se lancer dans la vente de leur production, maintenant accessible. Autre exemple d’usage, vous voulez remplacer la cabine de votre douche qui n’est pas de format standard. Aujourd’hui, vous devez commander à prix d’or -c’est du vécu- un modèle spécifique, avec souvent entre 1 et 3 mois d’attente. Avec l’impression 3D ce sera réalisé en quelques jours et, à terme, beaucoup plus abordable.
Les dangers :
– Impossible de ne pas y faire allusion tant le web s’en est fait l’écho récemment, le détournement de l’usage des imprimantes 3D à des fins criminelles est une réalité. L’idée que tout un chacun puisse fabriquer des armes et maintenant des munitions dans son salon a de quoi faire frémir. Même si la contre-attaque n’a pas tardé avec l’adoption d’un logiciel bloquant l’impression de certaines parties d’une arme à feu, il serait illusoire de penser que cela suffira à assurer une quelconque régulation. Les logiciels anti-piratage et autres DRM n’ont jamais réussi à empêcher le téléchargement illégal après tout. Quand à faire confiance à la nature humaine… Ceci étant dit, se procurer une arme ne semble déjà pas d’une difficulté extrême si l’on en juge par la recrudescence de faits divers avec usage d’armes à feu, parfois même de guerre. Pas certain que l’impression 3D change grand chose à la donne donc.
– Qui dit impression 3D dit réduction des besoins en main d’œuvre. Si la fabrication main reste souvent le meilleur moyen d’obtenir une qualité optimale, les produits de masse pourront dorénavant être fabriqués avec un minimum de personnel, avec des conséquences qu’on imagine graves sur l’emploi. Il faut cependant pondérer cette vision. Comme souvent avec les nouvelles technologies, on risque plutôt d’assister à une mutation des expertises requises. Il faudra bien des opérateurs, des spécialistes de la conception assistée par ordinateur, une organisation logistique, etc. Plutôt que s’insurger contre une évolution qui risque d’être inéluctable, il vaut donc mieux s’y préparer en mettant sur pied dès maintenant les filières de formation dont on aura besoin. Comme souvent, c’est la voie choisie par les Etats -Unis, toujours plus réactifs et pragmatiques en la matière.
Mais chez nous aussi certains ont déjà pris le train en marche, à l’instar de Sculpteo, une start-up qui propose la création de fichiers 3D en ligne. Une fois créé, il part vers des imprimantes haut de gamme situées dans les Pyrénées. Le client reçoit son objet sous 72 heures. Après un départ difficile, le site revendique déjà plus de 1000 commandes quotidiennes, et ce n’est qu’un début. Preuve qu’un marché existe bien pour cette technique.
– Cette technologie, bientôt à la portée de tous, risque d’accroître les besoins en matières premières, déjà particulièrement tendus. Et je ne parle même pas de l’impact écologique induit.
– Quid du copyright et de l’innovation ? Je m’explique, qui voudra encore se décarcasser à inventer et fabriquer un appareil innovant ou un objet original s’il suffit d’une imprimante 3D pour le dupliquer ? Comment garantir les droits des créateurs ? Les fabricants occidentaux déplorent déjà l’existence d’une véritable industrie de la contrefaçon, basée essentiellement en Asie du Sud-est, et qui réduit à néant leurs efforts d’innovation. On n’ose imaginer ce qu’il adviendra si cette contrefaçon devient accessible à tout un chacun. Rappelons-nous de l’arrivée du graveur informatique qui a offert aux particuliers la possibilité de dupliquer à l’identique un CD. L’industrie de la musique ne s’en est jamais remise et le piratage est devenu totalement incontrôlable, réduisant la prise de risque et la diversité musicale chez les acteurs du marché.
– Il sera possible avec l’impression 3D de créer… de la nourriture. La Nasa travaille ainsi sur un prototype permettant de réaliser des pizzas par empilement de couches, la matière étant constituée de poudres alimentaires et de compléments chauffés (et donc cuits) au moment de « l’impression ». Vous me direz que c’est plutôt une bonne chose puisque cela permettra d’acheminer et de « cuisiner » à moindre coût de la nourriture pour des populations souffrant de la famine. Sauf que les récents scandales de la malbouffe m’incitent au pessimisme, et me font plutôt penser que les groupes agro-alimentaires se hâteront d’exploiter cette technologie pour nous faire manger encore plus mal pour moins cher. Pourquoi s’embêter à monter une chaine de fabrication avec des opérateurs humains qu’il faut rémunérer quand il est tellement plus rapide, plus simple et moins couteux d’alimenter une imprimante 3D en matière première et la laisser faire tout le travail ?
En conclusion, si certains voient dans cette nouvelle technologie un soufflé qui retombera aussi vite qu’il est monté, j’aurais tendance y à voir une extraordinaire opportunité qu’il s’agit de bien aborder pour notre pays actuellement en souffrance de son industrie. La France dispose d’atouts non négligeables pour s’y faire une place au soleil. Qu’il s’agisse de ses ingénieurs réputés dans le monde entier, de ses graphistes que les Etats-Unis s’arrachent (Ecole des Gobelins par exemple), de ses informaticiens pillés par la Silicon Valley ou encore de son inventivité unanimement reconnue, il serait dommage que notre pays passe à coté de ce qui sera peut-être si on en croit certains augures la prochaine révolution industrielle. Il faudra certes adopter des règles pour limiter les abus et tromperies. Mais n’en est-il pas ainsi de toute innovation ?