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Hugo, Nebula, Locus : Neuromancien, l’avenir c’est maintenant !

05 juin 2012
Par Gerald
Hugo, Nebula, Locus : Neuromancien, l'avenir c'est maintenant !
©TDR

Terminé le space opera à la Flash Gordon, les extraterrestres débiles, les mondes lointains ou personne ne foutra jamais les pieds, les mutants nés de catastrophe nucléaires improbables, les civilisations de l’an 3000 et des poussières – l’avenir, pour William Gibson, c’est maintenant !

Troisième rendez-vous de notre série « les plus grands bouquins de science-fiction de tous les temps », aujourd’hui, Neuromancien, de William Gibson !  

Hugo, Nebula, Locus, quid ? 

Il y a aux Etats-Unis trois grands prix, annuels, récompensant LE meilleur roman de science-fiction de l’année. Ce sont les prix Hugo, Nebula et Locus.

Le prix Hugo (Science Fiction achievement award) doit son nom à Hugo Gernsback, fondateur du mythique magazine de science-fiction, Amazing Stories. Il y a plusieurs catégories, dont le prix du meilleur roman de l’année. C’est un collège de fans de science-fiction qui élisent les lauréats.

Le prix Nebula est décerné par une association, la Science Fiction and Fantasy Writers of America. Encore une fois, plusieurs catégories, dont celle qui nous occupe, le meilleur roman de science-fiction.

Le prix Locus, enfin, est décerné chaque année par les lecteurs du magazine du même nom.

Et, tenez vous bien, certains romans ont raflé, la même année, les trois prix ! 23 romans ont fait le doublé, d’abord – Hugo et Nebula. Quelques uns ont obtenu le Locus (qui n’est décerné que depuis 1980, de toute façon).

Alors, évidemment, certains de ces romans ont pris un coup de vieux, mais force est de constater que la plupart ont formidablement bien vieilli. Ils ont marqué l’année de leur parution en même temps que des millions de lecteurs, avec parmi eux un bon nombre de spécialistes du genre.

Si vous voulez commencer une collection, découvrir la science-fiction, ou même rattraper quelques lectures à côté desquelles vous seriez passé, ces 23 romans sont des jalons, des temps forts du genre, et les auteurs de science-fiction contemporains leur doivent à peu près tout.

Après la guerre éternelle, ici, et Dune, on continue avec :

Neuromancien, par William Gibson

 William_Gibson_by_FredArmitage

Tous droits réservés © Fred Armitage

 

Vous avez aimé Matrix ? Vous aimerez Neuromancien !

Neuromancien est l’ouvrage fondateur du mouvement littéraire « Cyberpunk ». Le cyberpunk, c’est un mouvement d’auteurs de science-fiction (mouvement créé par la critique et les fans, puisque bon nombre d’auteurs considérés comme « cyberpunk » ne s’en revendiquent pas) qui a décidé de tordre le cou aux postulats des écrivains de science-fiction des années 50-60. Ils furent à Asimov ou Clarke ce que les Sex Pistols furent à Charles Trenet.

Un bon coup de pied dans les testicules de la science-fiction à papa.

Terminé le space opera à la Flash Gordon, les extraterrestres débiles, les mondes lointains ou personne ne foutra jamais les pieds, les mutants nés de catastrophe nucléaires improbables, les civilisations de l’an 3000 et des poussières – l’avenir, pour eux, pour Gibson, il est déjà là. 

Neuromancien, c’est une ode à l’individu post-moderne, à l’ère informatique, c’est une œuvre visionnaire écrite par un écrivain de science-fiction qui tapait son histoire sur une vieille machine à écrire poussiéreuse.

Un génie.  

Gibson a réellement rêvé le monde contemporain – il a rêvé internet, le cyberspace, la communication globale, les multinationales toutes puissantes, les états dépassés par la mondialisation de l’économie, les hackers informatiques, les cités grises et rouillées, la perte de sens générale de toute une planète.

Il a inventé un genre – la Punk SF rebaptisée un peu plus tard Cyberpunk SF. Sans Gibson, la science-fiction aurait été amputée d’une de ses principales inspirations.

C’est tout un genre qui n’aurait jamais vu le jour. 

Et vous n’auriez jamais vu Matrix ou Ghost in the Shell.

Le cyberpunk et ses auteurs

En 1984, le cyberpunk était une approche radicalement nouvelle de la science-fiction, et c’était aussi, et surtout, une langue, une façon neuve de raconter une histoire, en renouvelant les inspirations.

Le cyberpunk est aujourd’hui un genre en perte de vitesse – essentiellement parce que la réalité a rattrapé les romans du genre.

La naissance d’un réseau de communication global, les multinationales, les prothèses, les drogues, la musique électronique, sont une réalité, forment notre quotidien, peu ou prou. Neuromancien demeure néanmoins un excellent bouquin – on le lira comme un polar d’anticipation, même si on sera évidemment moins émerveillé que le lecteur des années 80 qui aurait eu du mal à simplement épeler le mot « internet » et découvrait, comme votre serviteur, sa première console Atari noire dans ses cadeaux de noël.

Bon, Gibson était aussi l’héritier de quelques précurseurs du genre – Norman Spinrad avait déjà débroussaillé le terrain, John Brunner avait écrit son hallucinant Tous à Zanzibar, mais Gibson a établi des codes qui inspireront ses successeurs, dont trois auteurs exceptionnels, qui sont Bruce Sterling (Schismatrice), Walter J. Williams (Cablé, Le souffle du cyclone) ou Pat Cadigan (Synners).

« Le ciel était couleur télé calée sur un émetteur hors service…« 

Ce roman s’ouvre avec le meilleur incipit de l’histoire de la science-fiction, le « longtemps je me suis levé de bonne heure » de l’imaginaire.

« Le ciel était couleur télé calée sur un émetteur hors service ». Il y a tout le roman dans cette phrase.

Il n’est pas « gris », le ciel, il a la couleur d’une télé bousillée. Toute une manière de percevoir le monde quand on a grandi dans un environnement technologique, avec une « nature » réduite à des séries de photos haute résolution sur internet. « Pas besoin de soleil, j’ai un fond d’écran sur mon PC ».

Un monde où les derniers oiseaux ont crevé depuis longtemps d’une énième marée noire, où le capitalisme le plus sauvage écrase les individus, où la drogue coule à flot dans des rues que personne ne pense plus à nettoyer, où le corps n’est plus que de la viande, où de petits génies de l’informatique se libèrent du carcan de la chair et branchent directement leur cerveau sur leur ordinateur, voyagent dans la Matrice, l’environnement de tous les possibles virtuels, une « hallucination informatique consensuelle ».

L’univers de Gibson, c’est l’ère de l’urbanisme et des réseaux informatiques poussée dans ses plus extrêmes limites. C’est le monde de demain, si on n’y prend pas garde, c’est celui d’aujourd’hui si on considère qu’il s’agit d’une allégorie.

Le cadre, c’est la « conurb », la ville qui s’étend comme une flaque d’huile, transformant le monde en paysage de béton et d’acier.

Le pitch de Neuromancien

Neuromancien raconte l’histoire d’un casse informatique – Le personnage principal, c’est Case. Un hacker de légende qui a tenté de doubler son employeur. Celui-ci, en représailles, lui a injecté une neurotoxine qui lui a grillé le système nerveux central, lui interdisant de désormais voyager dans la Matrice. Case est une loque, condamnée au monde de la viande, prisonnier de son propre corps, un junkie ravagé, suicidaire.

Une porte de sortie lui est proposée par un type mystérieux, Armitage. Il peut soigner Case, mais il veut quelque chose en échange : Case doit pénétrer le système informatique d’une puissante multinationale. Un braquage, ni plus ni moins. Sa mission, qui se révèlera plus dangereuse que tout ce qu’il pouvait imaginer, il la fera en compagnie de Molly Millions, une samouraï des rues, mercenaire au corps « augmenté » par la cyber technologie.

Comme on le voit à la lecture du pitch, le cyberpunk emprunte certains de ses codes au polar, au roman noir. Personnages bousillés par la vie, évoluant dans un univers corrompu, en équilibre au bord de l’abime. Chacun joue double jeu, rien n’est jamais ce qu’il parait, et celui qui joue selon les règles est assuré de finir dans un sac à viande. 

Neuromancien est un bouquin exceptionnel – un polar cyberpunk de très haut niveau. A la fois fondateur du genre et mètre étalon pour tous les romans qui lui ont succédé. Un chef d’œuvre.

On pourra ensuite lire deux autres excellent bouquins de Gibson – Comte Zero et Mona Lisa s’éclate, un recueil de nouvelles (Mona Lisa Overdrive, titre d’une des musiques de la bande originale de Matrix, composée par Don Davis – pas de hasard, sans Neuromancien, Matrix n’aurait jamais germé dans l’esprit des frères Wachowski et dont ils ont toujours dit qu’il avait formé leur principale inspiration).

Un Hugo et un Nebula amplement mérités ! Merci monsieur Gibson !

Article rédigé par
Gerald
Gerald
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