Musk prône une « totale liberté d’expression » sur Twitter. Mais le rachat du réseau social par l’homme d’affaires milliardaire inquiète et pose question, bien au-delà de la sphère Tech.
Le fondateur de Tesla, SpaceX et Neuralink s’est offert le réseau social à l’oiseau bleu pour 44 milliards de dollars. Une opération qui montre à nouveau la détermination, si ce n’est l’entêtement du milliardaire, fort d’une fortune personnelle estimée par Forbes à 274 milliards de dollars avant cette acquisition majeure.
Fier d’avoir gagné cette bataille, Elon Musk déclare haut et fort vouloir rendre Twitter plus ouvert. « La liberté d’expression est le fondement d’une démocratie qui fonctionne. Twitter est la place publique numérique où sont débattues des questions vitales pour l’avenir de l’humanité », a-t-il clamé.
Musk, grand défenseur des libertés ? Considéré comme l’un des utilisateurs les plus actifs sur la plateforme, l’homme d’affaires, grand amateur de transgression et du politiquement incorrect, est aussi souvent taxé de libertarien. Moins connu en France qu’aux États-Unis, ce courant de pensée est aussi vénéré par ses défenseurs qu’il est redouté par ses détracteurs attachés aux échanges sans haine ni désinformation.
Liberté d’expression à tout prix
Né dans les années 1960 aux États-Unis, le mouvement libertarien rassemble notamment des libéraux radicaux qui militent pour une liberté à tous niveaux (sociale, économique, politique), et surtout pour une liberté d’expression absolue, et immédiate, en l’occurence. Selon ses partisans, chacun devrait pouvoir exprimer ce qu’il souhaite, quand il le souhaite, où il le souhaite. Peu importe le fond, le ton et la véracité du propos pourvu que « l’info » circule.
Les réseaux sociaux représentent par conséquent un terrain de jeu idéal pour ces Américains qui font valoir le premier amendement de la Constitution : « Le Congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis ». En bref, et même si cet amendement fait l’objet de nombreux débats et interprétations, aucun pouvoir n’a le droit de contraindre la liberté d’expression d’un individu dans l’espace public.
Si de prime abord la motivation peut sembler estimable, derrière ce courant de pensée individualiste se cachent des mouvements puissants, composés notamment de conservateurs, de suprémacistes blancs, de théoriciens du complot – dont certains ont activement participé à « l’infodémie » liée au Covid 19 –, bien décidés à défier les autorités, « l’élite », « l’establishment », le système et à en découdre avec les médias, taxés de faire de la propagande.
Risque aggravé de désinformation
Tout le monde est à présent pendu aux mesures que prendra Musk pour Twitter. Ira-t-il vers une liberté d’expression à tout prix ? La peur d’une recrudescence de fake news, de mésinformations, mais aussi d’incitations et d’actes de haine domine. L’ex-Président des États-Unis, Donald Trump, un temps soutenu par Musk sur Twitter, avait été banni en 2021 du réseau social parce qu’il n’avait justement plus de limite dans ses propos. Il a depuis lancé Truth, sa propre plateforme de communication où la liberté d’expression prime.
Depuis 2016, plusieurs utilisateurs extrémistes ont également été suspendus de Twitter, comme le rapporte USA Today. Parmi eux, le suprémacistes blancs Richard Spencer et Gavin McInnes, ou encore le théoricien du complot Alex Jones.
Musk ira-t-il jusqu’à réhabiliter tous ces comptes ? C’est plausible. Les experts craignent en tout cas une aggravation du problème de désinformation et de harcèlement déjà présent sur le réseau social. Pour Emerson Brooking, chercheur au Digital Forensic Research Lab de l’Atlantic Council, « la conception de Musk de la liberté d’expression est que les gens peuvent exprimer des choses odieuses, haineuses ou même du harcèlement ciblé contre d’autres utilisateurs ».
Ces groupements extrêmes étant très puissants, lorsqu’ils interviennent sur les réseaux sociaux, c’est souvent de manière massive et agressive, à coups de formules choc, réduisant un peu plus au silence les individus qui peinent à être visibles et à se faire entendre.
Les intentions et ambitions de Musk, politiques et financières, suite au rachat de Twitter sont encore floues. Personne n’est actuellement en mesure de savoir précisément la direction qu’il prendra, même si ses dernières sorties sur la plateforme donnent quelques indications. Hier, mercredi 27 avril, il s’est publiquement moqué de certains cadres du réseau, notamment en charge des règles liées à la modération.
S’il milite pour une moindre modération et prône plutôt le « vivre et laisser vivre », Musk ne pourra toutefois pas contourner les lois en vigueur, comme le Digital Service Act qui vient d’être approuvé par la Commission européenne. « Quel que soit le nouvel actionnariat, Twitter devra désormais s’adapter totalement aux règles européennes », a prévenu Thierry Breton, commissaire européen au marché Intérieur.