En moins d’un an, ce titre français s’est imposé parmi les géants du jeu vidéo mondial. Considéré comme une œuvre majeure, il a été sacré par neuf statuettes lors des Game Awards 2025.
Pour la première fois de leur histoire, les Game Awards ont pris des airs bleu-blanc-rouge. À Los Angeles, la grand-messe annuelle du jeu vidéo, souvent présentée comme l’équivalent des Oscars du secteur, a été dominée par un studio français. Sandfall Interactive, installé à Montpellier, a raflé un nombre record de récompenses avec Clair obscur : Expedition 33, devenu en quelques mois le phénomène mondial que personne n’avait vu venir. Derrière ce triomphe, une histoire singulière, faite d’audace, d’improvisation et d’un rapport très personnel à la création.
Un projet né loin des radars de l’industrie
L’aventure commence à la fin des années 2010, loin des circuits traditionnels du jeu vidéo. Guillaume Broche, alors cadre chez Ubisoft, découvre presque par hasard le moteur Unreal Engine. Sans bagage technique, il expérimente seul, par curiosité, depuis son appartement. « Nous ne savions pas faire de jeu avant », reconnaît-il dans Le Monde. Le prototype, enregistré sous le nom de « sandfall », évoque déjà le temps qui s’écoule, thématique fondatrice du projet.

En 2020, il démissionne et s’associe à Tom Guillermin et François Meurisse. Sandfall Interactive voit le jour à Montpellier avec une ambition floue mais une certitude : construire un jeu à contre-courant des productions calibrées. L’équipe se forme progressivement, composée de profils jeunes, parfois novices.
Assumer le « clair-obscur »
Les premières versions du jeu, développées entre 2020 et 2021, peinent pourtant à convaincre. Trop générique, l’univers manque d’âme. Le tournant survient avec l’arrivée du directeur artistique Nicholas Maxson-Francombe, qui impose une esthétique inspirée de la Belle Époque. « L’architecture haussmannienne et la vision idéalisée de Paris contrebalancent parfaitement la noirceur de cette histoire », explique-t-il au quotidien.

À partir de là, le projet trouve enfin sa colonne vertébrale. Le contraste entre beauté et fatalité devient central. Les personnages s’appellent Gustave ou Lune, jurent en français, y compris dans la version anglophone et les costumes assument un imaginaire volontairement « frenchy ». Une liberté créative rendue possible par la taille encore modeste du studio, capable d’absorber les changements de cap sans lourdeur industrielle.
Des années de développement
Le projet s’accélère en 2022 lorsque Sandfall signe avec l’éditeur britannique Kepler Interactive. Le passage à l’Unreal Engine 5 impose de nouveaux défis techniques, tout comme l’externalisation partielle de certaines tâches, du doublage à la capture de mouvement.

Le développement est marqué par de nombreux renoncements. « Parfois, il a fallu jeter six mois de travail à la poubelle », confie Guillaume Broche au Monde. Une exigence structurante, qui affine peu à peu l’équilibre entre narration, direction artistique et gameplay.
Une œuvre façonnée à hauteur humaine
Lorsque la version finale est envoyée à la presse, au début de l’année, le soulagement domine. « Quand je suis arrivé au bout, je me suis dit : “c’est incroyable. C’est un GotY” », confie Naja Dalmagne, testeur assurance qualité cité par le quotidien. Les Game Awards viennent de lui donner raison.

Hier, le jeu a raflé neuf statuettes, un record dans l’histoire de la cérémonie. Il est sacré jeu vidéo de l’année mais aussi meilleur jeu indépendant, meilleure direction artistique, meilleure narration, meilleur jeu de rôle et meilleure bande originale.
Sur la scène du Peacock Theater, Guillaume Broche apparaît entouré de son équipe, marinière et béret rouge sur la tête, clin d’œil assumé à l’identité du jeu. « C’est un projet passion dans lequel on a mis toute notre âme et tout notre cœur », déclare-t-il, dans des propos relayés par l’AFP. L’histoire d’un jeu né loin des radars, façonné à hauteur humaine et devenu, en l’espace d’une année, l’un des symboles les plus éclatants du jeu vidéo français.