Tiphaine Daviot revisite le mythe de Belphégor avec HBO Max dans une série fantastique tournée au Louvre. L’Éclaireur a eu l’occasion d’échanger avec elle sur ce privilège nocturne et son rôle lumineux face aux fantômes du passé.
Comment avez-vous accueilli l’idée de revisiter Belphégor, un mythe déjà largement exploré en littérature comme à l’écran ?
J’ai grandi avec différentes versions de ce mythe. Le film avec Sophie Marceau est sorti au cinéma quand j’étais petite, et mes grands-parents étaient fans de la série originale avec Juliette Gréco. J’avais donc ces images en tête quand j’ai décidé de rejoindre l’aventure Belphégor. D’autant plus que j’ai toujours été attirée par le genre de l’horreur et du fantastique. Je suis très friande de ces histoires – par exemple, j’étais une grande fan de X-Files.
L’idée de participer à un projet de série fantastique française dont l’action se situe au Louvre, et donc à Paris – la ville dans laquelle je vis –, m’a donc tout de suite émoustillée. Je suis vraiment ravie de faire partie de cette réinvention de Belphégor. Pour moi, c’est un véritable mythe parisien, mais surtout franco-français.
La version de 1965 a effectivement marqué et effrayé plusieurs générations. Aviez-vous cette référence en tête pour construire votre personnage ?
Cette série est une adaptation assez moderne et très différente de l’œuvre originale, donc je me suis concentrée sur le scénario tel qu’il était écrit pour imaginer Chloé. J’adore le fait qu’elle apporte une forme de fraîcheur à l’histoire. Je pense que c’était nécessaire, car l’atmosphère des sous-sols du Louvre est assez terne. J’avais la chance d’incarner ce petit personnage qui amène un peu de fantaisie, un peu comme la coccinelle de Gotlib.

Même si mon personnage finit par se faire rattraper par les événements – car cette lourdeur finit par toucher tout le monde, pas seulement l’héroïne –, elle reste un vecteur de lumière. Sans divulgâcher la fin, la série parle beaucoup d’espoir, de renouveau et de renaissance.
Le Louvre devient presque un personnage à part entière dans la série. Qu’est-ce que cela change, pour une actrice, de jouer dans un lieu aussi chargé d’histoire, de symboles et de silence ?
C’était franchement génial. Quand j’ai appris qu’on allait tourner dans le Louvre, j’étais trop heureuse ! Je ne savais pas s’ils réussiraient à avoir le vrai musée ou si nous devrions tourner en studio, mais quand j’ai su qu’ils avaient reçu l’autorisation, j’étais surexcitée. C’est un privilège incroyable : présenter son badge, passer la pyramide, entrer dans ce lieu mythique la nuit… Faire le “HMC” [habillage, maquillage, coiffure, ndlr] à l’intérieur même du musée, c’est quand même très stylé !
En plus, on était dans la partie Égypte qui est – comme pour beaucoup de personnes – ma préférée ! C’est souvent bondé, mais là, je pouvais me balader seule dans ces couloirs immenses, chargés par le poids du passé. C’était magique. Avoir ces œuvres pour soi est un privilège immense.
Tourner dans un lieu comme le Louvre peut être impressionnant…
Oui, ça faisait peur !
Avez-vous trouvé des safe place pour faire redescendre la pression entre les scènes, dans ce lieu si imposant ?
Ce qui était vraiment agréable, c’était de pouvoir se poser sur les bancs, au milieu des œuvres. Il y a quelque chose de très apaisant et de réconfortant. On s’y sent bien, même si on est entouré par toutes ces statues qui nous regardent. [Rires] Parfois, je faisais ma touriste pendant que les autres tournaient. [Rires]
Je me souviens des expéditions pour aller aux toilettes : c’était toute une aventure ! On devait être accompagné chaque fois, car on ne fait pas ce qu’on veut au milieu d’œuvres si précieuses. On passait par les couloirs, mais aussi par les portes dérobées, celles que le public ne voit pas. C’était fou !

Hafza traverse des épisodes d’hallucinations, et le public hésite entre une explication rationnelle ou paranormale. Quel type de personne êtes-vous : celle qui se tourne toujours vers une explication terre à terre, ou plutôt irrationnelle ?
Je suis quelqu’un de très rationnel, mais je laisse une porte ouverte à l’inexplicable et aux signes. Je ne veux pas avoir de certitudes absolues à ce sujet, car je pense qu’il y a plein de choses qu’on ne comprend pas. Et je trouve ça assez joli, il y a une forme de poésie et de symbolique là-dedans. Peu importe, finalement, que ce soit vrai ou pas, ce qui est beau, c’est le sens qu’on y met. Donc je dirais que je donnerais d’abord une réponse concrète, mais que je resterais néanmoins ouverte au “pourquoi pas”.
La série interroge aussi l’idée qu’une œuvre d’art puisse être “habitée”, voire dangereuse. Pensez-vous qu’un tableau, un film, une musique, un livre ou une série puisse réellement nous influencer, nous posséder, ou nous transformer en profondeur ?
Je pense qu’elles ont clairement ce pouvoir. C’est aussi pour cette raison que l’art peut être aussi dangereux que positif. Tout dépend de ce qu’il raconte. Qu’il s’agisse d’un livre ou d’un film, une fiction porte toujours une intention et des valeurs qui peuvent aussi bien relever de la propagande que de messages qui guérissent. C’est une forme d’éducation ludique qui peut ouvrir l’esprit ou faire réfléchir. C’est pourquoi je crois qu’il est très important de faire attention à ce qu’on raconte.

Quelle est l’œuvre qui vous hante encore aujourd’hui ?
Il n’y en a pas qu’une. En réalité, j’ai toujours grandi au contact de l’art. Il fait partie de mon quotidien. Je lis beaucoup, je suis très cinéphile et sérievore, et je pense que ce qu’on apprend et regarde dans l’enfance, surtout les films qu’on voit en boucle, est crucial. Ce qui est intéressant, c’est de les revoir plus tard : on peut y découvrir des choses différentes, ou réaliser qu’on avait surestimé ou sous-estimé une œuvre.
La fiction m’accompagne sans cesse, elle me permet de remettre en question plein de choses et de rester jeune dans ma tête. Quand la jeunesse nous raconte des choses, c’est important de l’écouter. Elle a souvent raison – malgré ses maladresses – et elle nous permet de rester connectés à l’époque actuelle.

La série pose aussi une question plus philosophique : est-on condamnés à vivre avec nos fantômes ?
“Condamnés” est un terme peut-être un peu violent, mais oui, je crois qu’on vit avec eux. Je pense qu’ils ne partent jamais, ils laissent des empreintes dans la tête et dans le cœur. Nous vivons avec les morts qui nous accompagnent. Mais ce n’est pas forcément négatif. Tout dépend du lien qu’on entretenait avec eux. Je pense que c’est bien de se souvenir. On ne peut pas effacer le passé ; il est nécessaire pour comprendre qui on est et pour avancer. C’est important de n’oublier ni ce qu’on veut fuir ni les gens qui étaient là pour nous. Je ne suis pas sûre qu’on s’en sépare un jour. Le tout est de savoir quelle place on leur donne, pour ne pas se faire “bouffer” par eux, mais plutôt pour les voir comme un accompagnement. Je trouve ça assez joli de me dire qu’il y a plein de gens qui m’accompagnent. J’espère que j’accompagnerai les autres à mon tour, un jour.