Le dispositif européen, garant de la protection des données personnelles de ses ressortissants, pourrait être affaibli dans les prochains mois.
Assouplir pour mieux innover ; lâcher la bride pour ne pas frustrer. Voici ce que l’on peut saisir du nouveau projet d' »omnibus numérique » présenté hier par la Commission européenne, et qui vise notamment à repousser l’instauration des règles les plus restrictives de l’AI Act, adopté en 2024. Un projet qui ravit les géants du numérique américain et qui inquiète les défenseurs de la confidentialité et de la neutralité du Web.
Un chantier de simplification pour “économiser des milliards d’euros” et “stimuler l’innovation”
On retrouve évidemment au cœur de ce projet de détricotage le sujet de l’intelligence artificielle, dont les leaders se trouvent aujourd’hui aux États-Unis et en Chine. Malgré la bonne tenue de l’entreprise française Mistral, l’Europe peine encore à faire émerger un champion… comme elle n’a jamais su promouvoir de réelle alternative aux Google, Microsoft et Apple ces 20 dernières années. Il faut que cela change, semble alors réaliser la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, dans le plan d’action présenté hier.
Le but, écrit-elle, est que les entreprises (qu’elles soient jeunes ou qu’il s’agisse de grands groupes) « consacrent moins de temps au travail administratif et à la conformité, et plus de temps à innover et à se développer ». Alléger la lourdeur administrative, donc, ce qui, pour l’IA, se concrétisera par un report de l’instauration des règles de l’AI Act concernant les modèles dits « à haut risque », c’est-à-dire ceux impliquant les droits fondamentaux (santé, transport, biométrie, éducation, détection d’émotions, police prédictive…).
Sous peine de poursuites, les entreprises proposant ce genre de produits devaient à l’origine se mettre en conformité (notamment en matière de transparence) d’ici au mois d’août 2026. Elles bénéficient désormais d’un délai plus long, jusqu’en décembre 2027. « Un chèque en blanc [aux entreprises d’IA] pour aspirer les données personnelles des Européens », fustige l’organisation autrichienne de défense de la vie privée Noyb.
Un RGPD assoupli, à l’avantage de tous ?
Voilà bientôt dix ans que le Règlement général pour la protection des données a été instauré. Il reste à ce jour le paquet législatif le plus protecteur au monde concernant la récolte et l’utilisation des données personnelles des internautes résidant dans l’Union européenne. Il oblige notamment les grandes entreprises de la tech à se montrer plus responsables, au risque de lourdes amendes (qui ont été nombreuses durant cette décennie). Toutefois, le RGPD est toujours perçu comme un caillou dans leur chaussure par de nombreuses entreprises (surtout étrangères), qui militent depuis des années à grands coups de lobbying pour tenter d’en assouplir les règles.
Une victoire, pour les concernés, puisque l’omnibus numérique présenté par la Commission vise justement à sortir du cadre du RGPD certaines données, et notamment celles « pseudonymisées », c’est-à-dire qui ne peuvent servir à remonter la trace de l’internaute. Celles-ci pourront servir à entraîner les modèles d’intelligence artificielle, concède la Commission européenne. Les données qualifiées de « sensibles » et touchant au domaine de l’orientation sexuelle, des opinions politiques ou religieuses, resteront protégées. Notons toutefois qu’un astérisque permet aux développeurs d’IA de procéder, malgré tout, et dans le cadre de « l’intérêt légitime », au traitement de données personnelles sans avoir à demander le consentement des internautes, rapporte Le Monde.
Le nouveau paquet législatif ne fait toutefois pas qu’offrir sur un plateau les données personnelles des Européens et Européennes. Dans son cadre, la Commission compte aussi œuvrer à refondre le processus de consentement aux cookies, présent sur tous les sites web consultés depuis l’UE. S’il faut aujourd’hui les accepter ou les refuser à chaque visite ou presque, ils seront bientôt gérés au niveau des navigateurs web et nos préférences enregistrées pendant six mois. Un Web moins privé, donc, mais tellement plus confortable.