Asma Mhalla signe un essai percutant sur la façon dont l’intelligence artificielle et les géants technologiques redéfinissent les rapports de pouvoir et la démocratie.
Une question traverse désormais l’analyse de notre époque : la technologie façonne-t-elle nos existences au point de devenir un pouvoir politique à part entière ? À la faveur d’avancées fulgurantes, un futur que l’on croyait réservé à la science-fiction s’impose un peu plus chaque année, avec une intelligence artificielle qui n’incarne plus seulement un progrès technique, mais concentre des enjeux de gouvernance, d’influence et de contrôle qui redéfinissent les équilibres démocratiques.
Dans ce contexte, Asma Mhalla estime que la mutation en cours dépasse la simple transformation. Son ouvrage Cyberpunk, paru le 19 septembre aux éditions du Seuil, dessine l’idée d’une instauration progressive d’un régime de domination inédit, fondé sur la convergence des intérêts de Big Tech et de pouvoirs politiques.
Malgré l’absence de coercition apparente, ce système reposerait sur une capacité d’influence et de contrôle diffuse, qui re-configurerait comportements, institutions et champ démocratique jusqu’à faire émerger une forme de totalitarisme technologique sans précédent.
Un « nouveau système totalitaire »
L’essai décrit un basculement : la technologie n’est plus seulement un outil mais un opérateur de pouvoir. L’alliance de la sphère techno et politique s’incarnerait dans des binômes emblématiques tels que Donald Trump et Elon Musk. Ce nouveau régime se déploierait sans recours systématique à la violence mais par la captation de l’attention, la modulation des émotions et la manipulation du réel via les plateformes, les réseaux sociaux.
L’autrice s’appuie également sur l’imaginaire cyberpunk, popularisé dans les années 1980 par William Gibson et Bruce Sterling. Pas pour convoquer le folklore esthétique, mais pour souligner à quel point la fiction est devenue réelle : mégacorporations capables de rivaliser avec les États, rapport de force déplacé dans l’espace numérique, subjectivités saturées de flux.
La réception critique
L’ouvrage a suscité un important retour critique. Le Monde salue « un constat lucide et inquiétant, d’une intelligence rare » et souligne la pertinence du diagnostic sur le « totalitarisme cognitif », qui fait référence à ce pouvoir exercé sur l’attention et les émotions plutôt que sur les corps.
Télérama relève de son côté une approche « non académique », parfois « encline à l’effet de vertige plutôt qu’à la démonstration » mais reconnaît la force d’un texte qui « donne corps à l’époque hybride dans laquelle nous avons basculé ».
De même, France Inter pointe ce parti pris « plus performatif que [le] pédagogique », privilégiant l’alerte à la désescalade analytique, mais salue néanmoins un ouvrage qui oblige à poser des questions rarement formulées avec autant de clarté. La Presse, enfin, insiste sur la dimension littéraire et scénaristique du livre, qui « se lit comme un récit d’anticipation où l’on aurait remplacé la fiction par l’actualité ».
Une autrice en première ligne
Politologue, Asma Mhalla enseigne à Sciences Po ainsi qu’à Polytechnique et intervient régulièrement dans les médias internationaux. Cyberpunk prolonge son précédent ouvrage, Technopolitique, où elle analysait déjà la militarisation diffuse des technologies numériques.
Avec ce nouvel essai, elle franchit un cap : interroger non plus seulement la manière dont la technologie transforme nos vies, mais la façon dont elle gouverne.