Critique

Los años nuevos : ça ressemble à quoi, dix ans d’amour ?

20 novembre 2025
Par Marion Olité
“Los años nuevos”, le 20 novembre 2025 sur Arte.
“Los años nuevos”, le 20 novembre 2025 sur Arte. ©Arte/Ernesto Reguera

Avis aux fans de romances ! En ligne depuis le 6 novembre sur la plateforme Arte et diffusée sur la chaîne franco-allemande à compter du 20 novembre, la formidable minisérie Los años nuevos nous plonge dans l’histoire d’amour d’un couple sur une décennie.

Le concept de la nouvelle série de Rodrigo Sorogoyen (El reino, Que Dios nos perdone, As bestas) a de quoi intriguer. Influencé par la trilogie filmique des Before de Richard Linklater, qui suit l’histoire d’amour d’un couple à un instant précis de leur relation tous les dix ans, le réalisateur espagnol a imaginé un dispositif proche. La romance entre Óscar et Ana débute en 2015, lors d’une soirée du Nouvel An à Madrid. Célibataires, ils fêtent tous les deux leurs 30 ans (il est né le 31 décembre, elle le 1er janvier) et finissent par coucher ensemble. Chaque épisode se déroule un an plus tard, sur ce laps de temps spécifique, entre le réveillon du Nouvel An et le premier jour de l’An.

On s’était donné rendez-vous dans un an

Au premier abord, cette contrainte de temps et de calendrier précis peut laisser perplexe. N’est-ce pas se tirer une balle dans le pied que d’imaginer un dispositif aussi répétitif ? En réalité, ce cadre permet à Rodrigo Sorogoyen et ses cocréatrices, Sara Cano et Paula Fabra, de libérer toute leur créativité pour imaginer chaque année des situations différentes, tout en faisant le point sur l’état de la relation entre Ana et Óscar, cœur battant de Los años nuevos.

Los años nuevos.©Arte/Manolo Pavõn

Dans un style au réalisme presque déroutant, les épisodes explorent les débuts tout feu tout flamme du couple, où se dessinent deux personnalités attachantes et complémentaires. Médecin interne, Óscar est du genre posé, quand Ana, serveuse sans trop d’attaches, ressent l’appel du voyage. L’écriture soignée nous fait comprendre ce qui va les réunir et créer du conflit entre eux.

Chaque année révèle la dynamique changeante du couple, à travers un repas de réveillon avec leurs amis (à des stades différents de leur propre relation) ou leurs familles, ce qui révèle immanquablement certaines blessures d’enfance mal refermées.

Los años nuevos.©Arte/Manolo Pavõn

Au milieu de la saison, une escapade à Berlin nous embarque dans une folle nuit au club mythique de Berghain, qui tourne au cauchemar, tandis que, plus tard, on retrouve Ana la voyageuse pour un épisode français à Lyon. Les situations ont beau changer de cadre, les scénaristes ne perdent jamais de vue le plus important : les sentiments de nos deux tourtereaux et leur état mental.

Vieilliront-ils ensemble ?

La série est portée par Iria del Río (Antidisturbios) et Francesco Carril (Three Goodbyes), deux excellents interprètes espagnols qui possèdent une belle alchimie. Elle se révèle notamment dans des séquences d’intimité et de sexe. Dans la lignée de celles de Girls ou Normal People, elles sont filmées de la façon la plus authentique possible. On sent une volonté du réalisateur de dépeindre les relations sexuelles avec honnêteté et sensualité, et de sortir un peu des sentiers battus.

Dans l’une de ces scènes, Óscar offre par exemple à Ana un vibromasseur pour son anniversaire et l’utilise lors de leur rapport sexuel suivant. Ana verbalise aussi régulièrement ce dont elle a besoin pour prendre du plaisir. L’œuvre restitue avec acuité l’énergie sexuelle des débuts d’une histoire d’amour, mais aussi, plus tard, la complicité et l’intimité singulière propres à chaque couple.

Los años nuevos.©Arte/Manolo Pavõn

Los años nuevos touche juste quand il s’agit d’aller gratter là où ça fait mal, dans les endroits fragiles du couple, où les reproches sur les choix de vie (Ana a l’opportunité de partir à Édimbourg) et des comportements récurrents risquent de s’accumuler. Dès le début, la soif d’aventure d’Ana est là, la méfiance et le paternalisme d’Óscar aussi.

Leur vision du couple diffère : lui aime la routine et l’idée de s’adapter l’un à l’autre, quand elle met en avant la beauté des différences et l’improvisation de la vie. Le dispositif de la série (les ellipses d’un an) draine un suspense à chaque début d’épisode : Óscar et Ana sont-ils encore ou de nouveau ensemble l’année suivante ? On vous laisse le plaisir de la découverte, mais sachez que cette histoire n’est pas un long fleuve tranquille.

Une série formellement innovante

Le seul aspect théâtral de cette production réside dans ces moments volontairement suspendus au milieu du récit, au cours desquels elle ausculte, au gré des aventures d’Óscar et Ana, d’autres couples. Ils nous regardent face caméra, dos à un mur, tandis que défilent leur histoire. Il peut s’agir d’un couple d’amies lesbiennes, comme Palo et Ros, d’un voisin dans le grand âge qui vient de perdre sa femme (un moment bouleversant) ou au contraire d’un couple de vingtenaires.

Los años nuevos.©Arte/Manolo Pavõn

S’ils peuvent paraître un peu artificiels, ces moments permettent de mettre en relief l’histoire des deux héros romantiques et d’explorer ce que ça veut dire d’être un couple à des âges différents. En termes de réalisation, Rodrigo Sorogoyen s’amuse avec la contrainte de temps. À l’intérieur d’une temporalité de 24 heures maximum, le réalisateur filme de nombreuses scènes en plan séquence pour un effet temps réel qui culmine lors de l’ultime épisode de la série : un plan-séquence de 46 minutes dans une chambre d’hôtel. Il s’agit, certes, d’une prouesse, mais elle n’est pas gratuite. Elle permet d’ausculter une dernière fois, au plus près, l’intimité de deux personnes qui ont évolué pendant dix ans sous nos yeux.

L’amour selon les Millenials

Ces dix épisodes qui composent ce programme offrent un instantané européen de la dernière décennie : aux côtés d’Ana et Óscar, on traverse des moments d’histoire, comme le Brexit ou la pandémie de Covid. Oscar étant médecin, un épisode situé en 2020 plonge brièvement dans le chaos d’un hôpital madrilène. Seul bémol, les scénaristes n’ont pas jugé intéressant de mentionner l’émergence des mouvements Me Too et Black Lives Matter, qui ont pourtant largement défini cette décennie 2015-2025. Le casting, notamment du côté des personnages secondaires, manque aussi de diversité, d’autant plus dans une grande ville comme Madrid.

Los años nuevos.©Arte/Manolo Pavõn

On suit les péripéties d’Óscar et Ana durant toute leur trentaine : Los años nuevos s’adresse donc en particulier à la génération des Millenials, les personnes nées entre le milieu des années 1980 et jusqu’au changement de millénaire, en passe, ou ayant déjà dépassé la fameuse barre symbolique des 40 ans.

La série agit comme une sorte de madeleine de Proust qui vous fera réfléchir à tous ces réveillons du 31 fêtés dans des bars, chez des amis ou dans une maison louée pour l’occasion. Cette fête mémorable ou complètement ratée, qui marque la fin d’une année et une forme de renouveau. Los años nuevos nous invite alors à faire le bilan de nos vies et des relations qui ont compté.

Los años nuevos.©Arte/Manolo Pavõn

La vision de l’amour véhiculée par le show est typique d’une génération bercée par les romans mi-sexy, mi-dépressifs de Sally Rooney (Normal People, Conversation with Friends, tous les deux adaptés en série). On sent une part de désenchantement : cette génération est à la fois plus libre que celle de ses parents, plus déconstruite sur bien des aspects, mais aussi plus solitaire et précaire. Los años nuevos semble s’être donné pour mission de célébrer la beauté de l’amour contemporain, à une époque individualiste où les séparations surviennent de plus en plus tôt, sans pour autant tomber dans un discours réactionnaire.

Loin des contes de fées et des comédies romantiques irréalistes, l’œuvre de Rodrigo Sorogoyen réenchante les relations amoureuses de la vraie vie. Óscar et Ana, c’est nous ou nos amis. Certaines scènes peuvent paraître banales et les disputes font mal, mais Los años nuevos nous rappelle tous les petits et grands moments qui font la magie d’une histoire d’amour.

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