Claire Danes, inoubliable Carrie Mathison de Homeland, est de retour dans le monde des séries. Elle se livre à un savoureux jeu du chat et de la souris avec Matthew Rhys dans The Beast in Me, attendue le 13 novembre sur Netflix.
Depuis la fin de Homeland (2011-2020), thriller politique parano sur l’Amérique post-11-septembre dans lequel elle incarnait une brillante agente de la CIA bipolaire, Claire Danes n’a pas chômé. En 2022, on a pu l’admirer dans deux très bonnes miniséries. En détective victorienne dans The Essex Serpent (2022) et en mère au bout du rouleau dans Anatomie d’un divorce (2022).
L’actrice continue de choisir des rôles féminins aux petits oignons : dans le thriller The Beast in Me, elle incarne Aggie Wiggs, une écrivaine lesbienne en deuil, dont le nouveau voisin, Nile Jarvis (Matthew Rhys), un magnat de l’immobilier, est soupçonné d’avoir tué sa femme.
D’abord agacée par ce nouvel arrivant peu discret, Aggie se trouve étonnamment des points communs avec lui. En panne d’inspiration, elle propose à Nile d’écrire sur lui. La série est créée par Gabe Rotter et showrunnée par Howard Gordon, le cocréateur de Homeland de nouveau réuni avec Claire Danes, également productrice sur le projet.
Un face-à-face jubilatoire
De Misery (1990) à The Ghost Writer (2010), les thrillers centrés sur des écrivains apparaissent à intervalles réguliers à Hollywood. On est à peu près sûrs d’y retrouver certains ingrédients phares, comme une maison dans un lieu reculé, un personnage tourmenté confronté au syndrome de la page blanche et un antagoniste retors. Composée de huit épisodes hautement binge-watchables, The Beast in Me coche toutes les cases, avec en prime une pointe de Truman Capote et son roman De sang-froid, sorti en 1966, dans lequel l’écrivain auscultait un meurtre dans une petite ville du Kansas.

Le face-à-face entre une femme au profil de « détective » (Aggie est écrivaine, mais remplit symboliquement ce rôle) et un potentiel criminel évoque aussi le duel entre Clarisse Sterling et Hannibal Lecter dans Le silence des agneaux (1991), d’autant que la série est produite par une certaine Jodie Foster.
La réussite de ce type de récit tient en grande partie au talent de ses interprètes. De ce côté-là, The Beast in Me a tiré le gros lot : Claire Danes et Matthew Rhys, tous deux anciennes têtes d’affiche de thrillers politiques marquants (Homeland et The Americans), s’entendent comme larrons en foire.

L’un aurait pu éclipser l’autre, mais ils brillent tous les deux de façon différente. Acteur caméléon, Matthew Rhys nous procure des frissons dans le rôle d’un ultrariche totalement creepy, incapable d’accepter un « non » pour réponse. Il y a dans son jeu une forme d’humour noir assez irrésistible. En face, la tout aussi géniale Claire Danes, aka le plus beau menton qui tremble d’Hollywood, n’a pas son pareil pour nous faire ressentir l’état mental de son personnage, sur son beau visage traversé de minispasmes.
La caméra s’attarde souvent en gros plan sur les visages de ces deux antihéros ayant dépassé les 40 ans. Et ça fait du bien dans notre société âgiste et dans une industrie hollywoodienne qui a bien du mal à laisser ses stars (surtout féminines) vieillir sans tenter de les rajeunir à tout prix. Si le public vit cette histoire à travers le ressenti d’Aggie, qui nous guide en voix off, l’écrivaine habituée à la notoriété cache (mal) ses démons intérieurs après un accident qui a coûté la vie à son fils et mis fin à son mariage.

En apparence, elle semble très éloignée de son nouveau voisin, aussi bien en termes de valeurs que dans le comportement. Pourtant, dès leur première rencontre, Nile voit en Aggie une part d’obscurité et de rage qui résonne avec la sienne. Ce personnage carnassier et fier de l’être constate : « Vous avez soif de sang ». Effectivement, cette écrivaine et mère en deuil est animée par le feu de la vengeance : elle croise régulièrement Teddy, le jeune chauffard qu’elle tient pour responsable de la mort de son fils. Elle l’a tellement harcelé qu’il a obtenu une ordonnance de protection contre elle.
Une série ultramaîtrisée
Le face-à-face entre celle qui détient le pouvoir de la plume et celui qui détient le pouvoir de l’argent devient rapidement haletant. Dans une interview accordée à The Guardian, Claire Danes analyse la dynamique des deux personnages : « Ils sont vraiment fascinés l’un par l’autre et ils se disputent le pouvoir, mais ils prennent aussi un réel plaisir à être ensemble. Ce sont des âmes sœurs, mais aussi des adversaires, et le sexe n’entre pas en ligne de compte. C’était intéressant. Je n’avais jamais joué un rôle pareil et je ne l’avais jamais vraiment vu auparavant sur un écran. »

C’est effectivement rafraîchissant de voir se déployer une relation complexe entre deux personnages de genres différents qui ne finit pas dans la chambre à coucher. Et si vous pensez qu’Aggie étant lesbienne, cela coulait de source, il existe une tendance gênante à faire coucher des personnages lesbiens avec des hommes dans la fiction. Citons, en France, Marie-Jo dans le film Gazon maudit ou Andrea dans la série Dix pour cent. On sait donc gré aux scénaristes de The Beast in Me d’avoir résisté à la tentation.
Côté casting, Matthew Rhys et Claire Danes sont idéalement accompagnés d’excellents seconds couteaux, comme Jonathan Banks dans le rôle du père de Nile, Brittany Snow dans celui de sa nouvelle femme ou Natalie Morales dans le rôle de l’ex-femme d’Aggie, et David Lyons dans celui d’un agent du FBI obsessionnel.

La série bénéficie d’une écriture haletante, qui sait ménager ses moments de suspense et ses climax. Seuls bémols : une révélation au cours de la saison un poil précoce sur la véritable nature de Nile, et une résolution finale un peu trop commode, qui sent la ficelle scénaristique à plein nez. Reste qu’on n’est pas déçu du voyage.
Howard Gordon saupoudre son intrigue d’un peu de contexte politique bienvenu : le message sur la voracité des ultrariches et leur capacité à corrompre les politiques avec leurs projets écocidaires reste d’actualité, à défaut d’être novateur.

L’ambiance parano de la série est appuyée par une réalisation efficace (des gros plans, une photographie plutôt sombre…) et une dramaturgie sonore travaillée. Nile, ou un substitut de Nile (ses chiens flippants ou son oncle garde du corps), se tient toujours prêt à surprendre Aggie, qui se pense à tort à l’abri dans son antre. Finalement, tout l’intérêt du programme réside dans son titre – la bête intérieure d’Aggie rencontre celle de Nile – et dans la question qui en découle : lequel des deux est le plus dangereux ?