Plus de 20 ans après la sortie du premier volet de la saga de Peter Jackson, sa bande originale continue d’inspirer et de provoquer l’admiration. Portrait de son compositeur.
Un quart de siècle après avoir conquis les salles de cinéma et remporté le prestigieux Oscar de la meilleure musique de film, la bande originale du Seigneur des Anneaux est rééditée par Rhino Records. Mais si l’œuvre d’Howard Shore est désormais largement considérée comme l’un des trésors du cinéma contemporain, rien n’était gagné d’avance : miser sur le compositeur canadien pour mettre en musique une trilogie de fantasy épique était un pari risqué.
Un compositeur déjà aguerri, mais dans des registres bien différents
Howard Shore a baigné dans la musique depuis sa plus tendre enfance. Après des études au prestigieux Berklee College of Music de Boston, il rejoint, à la fin des années 1960, âgé d’à peine 20 ans, le groupe de jazz Lighthouse. Dès le début des années 1970, il commence à composer pour la télévision, et obtient le poste prestigieux de directeur musical pour une jeune émission appelée à changer la face de l’humour en Amérique du Nord, le Saturday Night Live, dans laquelle il multipliera les caméos et les apparitions dans des sketchs de légende pendant plusieurs années.
Mais c’est la composition de musique de film qui lui apporte une certaine célébrité à partir des années 1980, grâce à une double carrière qui montre la flexibilité de son talent. D’une part, Shore enchaîne les bandes-son d’horreur, de films fantastiques et de thriller en collaborant notamment à de multiples reprises avec David Cronenberg et David Fincher. En une quinzaine d’années, il compose ainsi les partitions de Chromosome 3, La Mouche, Le silence des agneaux, Seven, Le festin nu ou encore The Game. Et, d’autre part, il s’illustre également en multipliant les compositions pour des comédies populaires : Madame Doubtfire, High Fidelity, That Thing You Do!, c’est aussi du Shore dans les oreilles des cinéphiles des années 1990.
Autant dire qu’à l’annonce de son nom pour la composition du projet de trilogie de Peter Jackson, l’accueil fut un peu circonspect, d’autant plus que ce compositeur étranger au monde de la fantasy n’était pas celui qui était pressenti, la production des films ayant d’abord misé sur le regretté James Horner, plus habitué aux films de genre. Et pourtant, Howard Shore allait se révéler un choix extrêmement avisé.
Des conditions de production exceptionnelles
Il faut dire que peu de bandes-son de films avaient alors bénéficié de telles conditions de production : officiellement embauché au cours de l’été 2000, Shore va bénéficier de temps et de moyens exceptionnels pour l’industrie du cinéma, et passer quatre ans à composer l’une des bandes originales les plus longues de l’histoire (pas moins de 13 heures de musique pour l’ensemble de la trilogie).
Les conditions d’enregistrement sont, elles aussi, hors du commun. Plus d’une centaine de musiciens et plusieurs orchestres sont mobilisés pendant des mois, en particulier le prestigieux orchestre philharmonique de Londres, et Shore travaille de près avec des spécialistes de l’univers de l’œuvre de Tolkien pour la composition des chansons intradiégétiques au cours du récit.
De l’aveu même du musicien, la possibilité de passer quatre longues années à la composition en bénéficiant de moyens quasiment illimités est une des raisons de la qualité du résultat final, là où, d’habitude, il ne passait que quelques semaines sur la partition d’un film à gros budget. De même, la composition et l’enregistrement de certains des morceaux les plus complexes de la bande-son de la trilogie vont mobiliser jusqu’à 300 personnes, un nombre inimaginable même pour les plus gros blockbusters de l’époque.
Un résultat entré dans la légende… Et dans la science !
Le résultat est, en effet, extraordinaire : Shore a composé pas moins d’une cinquantaine de thèmes, autant pour les personnages de la saga que pour les lieux visités par ces derniers. Dès les premières projections-tests, le thème de la Comté, les motifs musicaux annonçant l’arrivée des ténébreux Nazgûls ou les envolées lyriques associées aux elfes deviennent des moments iconiques du cinéma à grand spectacle.
La bande originale de Shore remporte un Oscar, trois Grammy Awards, deux Golden Globes, et sera nommée pendant des années meilleure bande-son de tous les temps. Contribuant au succès critique et commercial du film, elle continue 20 ans plus tard d’être régulièrement jouée en public par de prestigieux orchestres. Plus étonnant : la complexité et la richesse de la bande-son du Canadien sont désormais disséquées et étudiées par nombre de chercheurs en musicologie, et sont devenues un objet de curiosité scientifique.
Quant à Howard Shore, qui devait par la suite réaliser de nombreuses autres musiques de film prestigieux (notamment pour Martin Scorcese), il retourne surtout à ses premières amours : composer de la musique pour les films de David Cronenberg, dont il reste à ce jour le compositeur quasi officiel. Même si, bien entendu, il n’en avait pas tout à fait fini avec l’œuvre de Peter Jackson, puisqu’il a trouvé le temps de revenir dans les Terres du Milieu entre 2012 et 2014 pour composer la musique de la trilogie du Hobbit. Cette dernière reprenant une partie des motifs et des thèmes de la première trilogie, la tâche a néanmoins été un peu moins herculéenne.
