Hasard du calendrier, l’histoire du boys band français le plus iconique des années 1990 fait l’objet de deux fictions cet automne, avec Filip sur TF1 et la saison 2 de Culte sur Prime Video. Alors, 2Be3 or not to be ?
Si vous avez grandi dans les années 1990, vous n’avez pas pu échapper au phénomène 2Be3. Composé de Filip, Adel et Frank, trois amis d’enfance originaires de Longjumeau, ce boys band a connu un succès foudroyant entre 1996 et 2000. Avec les tubes de leur premier album, Partir un jour, au sommet du Hit Machine, et la sitcom AB Productions Pour être libre, ces derniers ont bercé toute une génération de pré-ados aujourd’hui quarantenaires.
Au vu du retour de hype autour des nineties, le moment se révèle des plus opportuns pour se pencher sur cette success-story symbolique de cette époque en France. En l’espace de deux mois, ce n’est pas une, mais deux fictions qui se penchent sur l’histoire des 2Be3, en adoptant des angles différents.
Les 2Be3 versus Filip Nikolic
Diffusé en deux parties le 15 septembre dernier sur TF1 et toujours disponible sur la plateforme TF1+, le téléfilm Filip revient sur la trajectoire du leader des 2Be3, Filip Nikolic, tragiquement décédé à l’âge de 35 ans, après avoir sombré dans l’abus de somnifères. Il s’agit donc d’un biopic, particulièrement centré sur son histoire d’amour avec Valérie Bourdin, sa compagne et la mère de sa fille. Cette dernière a sorti un livre, Filip pour la vie (2010), qui a guidé l’équipe de production.
De son côté, Culte, série d’anthologie qui explore les phénomènes pop culturels français (la première saison revenait sur le Loft Story et la naissance de la téléréalité dans l’Hexagone), a choisi de se pencher sur l’histoire du groupe 2Be3, de son ascension à son dernier grand concert à Bercy. Le programme bénéficie de six épisodes pour déployer un récit ancré par l’amitié indéfectible qui unit Filip, Franck et Adel.
Cette différence de point de vue tourne en faveur de Culte. On a bien plus envie de découvrir l’envers du décor du côté des 2Be3 que de plonger dans l’histoire d’amour plutôt banale entre Filip et Valérie. Présentée dans le téléfilm comme une vendeuse de vêtements peu intéressée par la célébrité, elle s’avère être un personnage peu charismatique, qui subit l’action la plupart du temps.
L’angle de Culte permet d’explorer les dessous de l’industrie musicale de la fin des années 1990 et la dynamique amicale de ces trois gars de la classe moyenne à l’énorme capital sympathie. C’est bien connu, on est toujours plus forts à plusieurs.
Là où Filip insiste sur la descente aux enfers de son personnage principal, jusqu’à sa mort, le show de Prime Video célèbre davantage l’accomplissement d’un groupe que personne n’attendait, sans éluder les démons du chanteur. Créée, écrite et réalisée par Yaël Langmann (à qui l’on doit l’excellente Chair tendre sur France TV Slash), la production bénéficie de l’adoubement des vrais Adel et Franck. Ce dernier incarne même un joli rôle symbolique, celui du coach sportif du jeune Franck.
Deux Filip pour le prix d’un
On fait donc face à deux interprétations de Filip Nikolic, la première par Mikaël Mittelstadt (Bardot, Montmartre) sur TF1 et la deuxième par Antoine Simony (Été 85, Barbara) pour Prime Video. Les acteurs s’en sortent plutôt bien tous les deux, en appuyant sur des registres légèrement différents. Le premier a l’opportunité d’incarner le chanteur alors que les 2Be3 sont plutôt sur le déclin. Il est donc un peu plus mature que celui de Culte, et davantage dévoré par son addiction aux médicaments et sa paranoïa.
Les deux interprétations insistent sur le charisme et le pouvoir de séduction de la star, ainsi que sur sa relation compliquée avec son père serbe et ses origines modestes. Le Filip du biopic TF1 est tout de même un peu téléphoné – car moins bien servi côté dialogues – que celui de Culte. Dans la série, Antoine Simony restitue à merveille la niaque et la fougue du jeune homme.
Quid des autres membres des 2Be3 ? S’ils font vraiment tapisserie dans Filip, Franck et Adel tiennent des rôles importants dans Culte, où ils sont interprétés respectivement par Marin Judas et Namory Bakayoko, tous les deux très bons.
Le premier apporte une forme de douceur et de force tranquille au groupe, quand le deuxième, pétrifié par le symbole de diversité positive qu’il représente (bonjour la pression), a du mal à se montrer vulnérable. La belle dynamique du trio constitue le point fort de la série.
Au casting de Culte, on retrouve aussi Daphné Bürki dans le rôle de la productrice ambitieuse du groupe, Grégory Montel dans celui de son horrible boss ou encore Cécile Cassel dans celui de Valérie. Au petit jeu des comparaisons, l’actrice y est plus convaincante que Sara Mortensen dans Filip, pas franchement aidée par une écriture tout sauf subtile.
Une esthétique queer
En dehors de quelques éléments de la garde-robe de son leader, Filip ne respire pas vraiment les nineties. Ce biopic aux dialogues grossiers et au parti pris très soap aurait pu avoir lieu de nos jours. La réalisation ne prend aucun parti pris. La saison 2 de Culte, elle, a fait des choix esthétiques forts. Elle respire le gloss et la matière vinyle.
La série assume pleinement la dimension homoérotique des 2Be3, avec des gros plans sur leurs corps huilés de statues grecques et plusieurs scènes de training montage qui servent de transition entre les séquences et restituent toute la vibe des 2Be3, aimés par les 7 à 77 ans, les classes populaires comme les milieux queers alternatifs.
« J’adore l’esthétique queer. Je la trouve belle et très riche. D’ailleurs, dans certains intérieurs, on s’est amusés à convoquer une certaine esthétique du cinéma queer des années 1990, comme Gregg Araki, des couleurs hyper tranchées, par exemple », explique Yaël Langmann dans le dossier de presse de la série.
Dans Culte, Salomé (Daphné Bürki) est en couple avec la chorégraphe et parolière des 2Be3, et Filip entretient une relation ambiguë avec Michel, un bourgeois qui l’introduit dans l’élite culturelle parisienne. Sa potentielle bisexualité (Paris Match a publié le témoignage d’un proche de Filip affirmant avoir été son compagnon) et son pouvoir de séduction capable de transcender les orientations sexuelles trouvent leur place dans Culte.
Culte, vainqueur par KO
À travers la reconstitution des plus grands moments des 2Be3 – le tournage du clip Partir un jour, leur passage au Hit Machine, leur sitcom ou leur concert face à une foule de jeunes filles en délire –, Culte nous fait revivre toute une époque. Au-delà du glamour de la célébrité, la série garde les pieds sur terre grâce au lien entre les trois amis d’enfance et leurs proches à Longjumeau.
Si sa plongée dans l’industrie musicale, un peu caricaturale, apparaît moins convaincante que celle proposée en saison 1 sur les arcanes de la téléréalité, c’est parce que le focus de cette nouvelle salve n’est pas vraiment là. Fiole de nostalgie 90’s, Culte invoque la petite fille ou le petit garçon qui sommeille en nous, prêt à apprendre par cœur une chorégraphie pour la danser non-stop avec ses amis.
