Disponible le 9 octobre sur Netflix, la série suit le passage à l’âge adulte, à marche forcée, d’un jeune homme gay chez les Marines, au cœur des années 1990. En avant, toute.
Basée sur les mémoires de Greg Cope White, The Pink Marine, et créée par Andy Parker, Boots nous fait voyager aux États-Unis, en 1990. Cameron Cope (Miles Heizer, vu dans Parenthood et 13 Reasons Why), un jeune homme gay, victime de harcèlement durant ses années lycée, décide sur un coup de tête de suivre son meilleur ami, Ray McAffey (Liam Oh) et de rejoindre le corps des Marines pour 13 semaines de formation intensive à Parris Island.
Mais une question nous taraude : pourquoi Cameron s’est-il jeté dans la gueule du loup, au sein d’une institution notoirement brutale envers la différence, et à une époque où être homosexuel dans l’armée est tout simplement interdit et passible de prison ?
Une série au ton singulier
Au vu de la bande-annonce colorée (la série joue sur des tons saturés jaune et rouge) et rythmée, on aurait pu s’attendre à une comédie pur jus. Ce n’est pas le cas. Boots met les deux bottes dans le genre flou de la « dramédie », utilisé le plus souvent dans des œuvres indé, pour suivre des tranches de vie de façon réaliste. L’œuvre nage ici dans les eaux troubles du passage à l’âge adulte.
À grand renfort de métaphores sportives et d’ordres beuglés à tout-va, les instructeurs sont chargés d’une mission sacrée : faire d’une bande de bras cassés des hommes. Les premiers épisodes, plutôt comiques, mettent l’accent sur Cameron qui se sent comme un poisson hors de l’eau.

Sa fragilité est inscrite sur son visage aux traits fins, ses yeux de biche prise dans les phares d’un camion, et son physique de twink (argot gay pour désigner de jeunes hommes minces, imberbes et mignons). Il faut saluer la remarquable performance de Miles Heizer, aussi à l’aise dans des moments comiques que beaucoup plus dramatiques. Forcément, on se dit – et il se dit lui-même – qu’il ne fera pas long feu au milieu de ces brutes épaisses.
En attendant de rentrer chez lui en pleurant, Cameron subit la tête haute (et rasée) les brimades, les ordres à toute heure du jour ou de la nuit, et les entraînements physiques qui mettent à rude épreuve le palpitant. Les Marines hurlent des ordres à deux millimètres des oreilles des recrues, leur balançant insanité sur insanité.
On pense forcément à cette scène culte du film Full Metal Jacket de Stanley Kubrick, durant laquelle un instructeur à l’insulte facile décide d’appeler l’une de ses recrues « baleine ». Boots aurait pu pousser les curseurs à fond et devenir une comédie camp et satirique, mais le show opte pour une nuance presque déstabilisante. Il se fait sérieux, voire tragique, selon les épreuves traversées par le groupe.
Au-delà du décorum qui prête à sourire, surtout aux yeux d’un public contemporain, Boots a à cœur de rappeler que des vies sont en jeu et que ces jeunes hommes vont mettre les leurs en première ligne. Andy Parker ne s’est pas donné pour mission de détruire l’institution des Marines par la satire, mais d’exposer les ambiguïtés d’un endroit à la fois toxique et formateur pour des jeunes hommes en quête de sens.
Une machine à masculinité toxique
Durant les huit épisodes de sa première saison, la série ne se prive pas d’ausculter le système brutal de formation des recrues, qui flirte dangereusement avec les mécanismes de la torture physique et psychologique sous couvert de dépassement de soi. Comme dans Full Metal Jacket, les instructeurs ont beau dire qu’ils ne font pas de différence entre leurs recrues, toutes considérées comme « un tas de merde », en réalité, ils s’en prennent d’abord à ceux dont le physique diffère de ce qu’on attend d’un marine américain.

Cameron se fait rabrouer pour son côté fluet tandis qu’un camarade est jugé trop gros et un autre a le malheur de ne pas appartenir à la bonne catégorie, celle de l’Américain blanc. À une époque où la bataille d’Iwo Jima contre le Japon est sur toutes les lèvres, Ray, surnommé « Bento », subit un racisme décomplexé de la part d’un instructeur, seulement déplacé dans une autre unité pour son comportement. L’œuvre expose les comportements racistes, grossophobes, sexistes (les recrues sont constamment appelées « ladies » ou entonnent des chansons grivoises) et évidemment homophobes au cœur de la formation des Marines.
Se découvrir des frères d’armes
Entre moments humiliants et peur panique que ses camarades découvrent son homosexualité, Cameron vit très mal ses premiers jours au camp de Parris Island. Mais, paradoxalement, en décidant de se jeter à corps perdu dans cet univers qui n’est rien d’autre qu’un miroir grossissant de la société de l’époque, il combat le mal par le mal. Et il va connaître quelques révélations au passage.

Cette expérience éprouvante lui fait prendre conscience qu’il n’est pas le seul à devoir affronter ses démons ou à chercher un sens à sa vie. Le show aborde aussi l’anxiété de la performance que peuvent ressentir ces jeunes hommes, même les plus « mâles alpha ». Elle offre une intéressante exploration de la masculinité et de ses injonctions à être le plus fort, à ne pas demander d’aide ou à ne pas montrer d’émotion.
Cameron découvre que la plupart de ses nouveaux frères d’armes se sont tournés vers les Marines pour les mêmes raisons que lui : découvrir leur valeur. De l’adversité naît une fraternité. La production a le bon goût de creuser son amitié avec Ray, proposant une belle représentation amicale entre un homme gay et hétéro, chose toujours rare sur un écran.

Enfant solitaire, Cameron entretient une relation compliquée avec une mère fantasque (Barbara, incarnée par la toujours géniale Vera Farmiga, décidément abonnée aux rôles de mères indignes après Bates Motel), qui ne lui a pas forcément transmis les bonnes valeurs. Ces semaines de formation loin de sa génitrice vont lui permettre d’y voir plus clair.
Série chorale équilibrée, Boots brille par une écriture maîtrisée, qui parvient à laisser une place à tous ses personnages secondaires, dont les combats personnels – Ochoa (touchant Jonathan Nieves) et sa grande sensibilité, Hicks (Angus O’Brien) et son analphabétisme, Ray et ses crises d’angoisse – font écho à celui de Cameron.
Être gay chez les Marines
Terme à double sens qui désigne autant les bottes des Marines qu’un mot d’argot gay, Boots s’amuse aussi du paradoxe flagrant de cet environnement à la fois très homophobe et chargé d’homoérotisme. La série ne lésine pas sur les scènes de douche et le trouble que ressent Cameron au milieu de ses camarades et instructeurs, nus.

Quand Cameron est trop torturé par une situation, il se parle à… lui-même. Enfin, une version de lui-même plus assurée, qui représente sa conscience et celui qu’il essaie de devenir. Utilisé avec parcimonie, ce procédé rappelle que Cameron doit cacher une partie de sa personnalité à tout le monde (sauf à son BFF Ray), sous peine de finir derrière les barreaux.
Dans sa quête pour devenir un homme (mais quel genre d’homme ? Toute la question est là), Cameron va se découvrir un mentor en la personne du Sergent Sullivan (Max Parker), particulièrement dur avec lui jusqu’à ce qu’il fasse ses preuves. Ce personnage adulte cache une histoire, distillée tout au long de la saison, qui fait écho au sujet phare de Boots : le droit des personnes LGBTQ+ à faire partie des Marines, et plus généralement de l’armée.

Dans la vraie vie, des pionniers ont pris des risques immenses pour faire avancer les mentalités. À partir de 1994, la loi « Don’t ask don’t tell » (« Ne demande pas, ne le dis pas ») permet aux personnes LGBTQ+ d’intégrer l’armée si elles restent au placard. Elle est discriminatoire et sera abolie en 2011, mais elle représente à l’époque une avancée notable.
À travers des personnages comme le Sergent Marcus McKinnon (Cedrick Cooper), un instructeur noir appartenant à une famille de Marines, ou Denise Fajardo (Ana Ayora), la première femme capitaine de l’histoire de Parris Island, l’œuvre raconte plus largement comment les femmes et les minorités de genre comme raciales ont ramé pour obtenir leur place au sein des Marines.

En ce sens, elle effectue un travail de mémoire indispensable, en particulier au vu du contexte politique américain actuel, particulièrement réactionnaire. Boots nous donne une leçon intemporelle : la meilleure arme contre l’intolérance, c’est de rencontrer la différence.