Entretien

Étienne Davodeau pour Là où tu vas : “Je veux raconter des histoires de la vie quotidienne”

08 octobre 2025
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Étienne Davodeau.
Étienne Davodeau. ©Chloé Vollmer-Lo

Dans sa BD Là où tu vas, Étienne Davodeau esquisse les réalités de la maladie d’Alzheimer à travers le métier de Françoise Roy, sa compagne. Un album tout en convictions et tendresse. Rencontre avec son auteur.

Quelle connaissance aviez-vous de la maladie d’Alzheimer avant d’entamer votre travail pour ce livre ?

Comme tout le monde, c’est une maladie qui me fait peur. Déjà, parce qu’elle détruit la mémoire, mais aussi parce qu’il n’existe aucun traitement pour la soigner. Mais, avant même de commencer mon travail sur ce livre, j’avais déjà une vision de cette maladie peut-être un peu plus précise que la moyenne des gens. Françoise Roy, qui est accompagnatrice de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer et que je suis dans l’album, est aussi ma compagne et, comme on le fait souvent dans un couple, elle me racontait ses journées. Ça m’a toujours passionné et je lui ai proposé d’en faire un récit. Elle a mis 15 ans avant d’accepter.

©Futuropolis

Dans la BD, vous mettez en scène de véritables trajectoires de vie. Comment trouve-t-on l’approche juste pour raconter ces histoires sans exposer ces personnes ?

Une des difficultés majeures pour réaliser ce livre a été de ne pas donner les vrais noms et de ne pas dessiner les vrais visages. Les personnes malades représentées dans la BD n’auraient de toute façon pas pu me donner leur accord conscient et permanent quant à l’utilisation de leur vécu. Dans mes livres précédents, j’ai sollicité des témoins ou des militants pour qu’ils me racontent leur histoire et ils m’accordaient leur accord oral pour le mettre en BD.

Mais, avec une personne qui a des problèmes de mémoire, je ne peux pas fonctionner comme habituellement. Ma méthode a donc été la suivante : Françoise me racontait le déroulé de ses journées en détail, les personnes qu’elle accompagnait et ce qu’elle faisait avec eux, et je les dessinais d’après son récit. C’était une manière de procéder pour rester au plus près de la réalité, tout en garantissant l’anonymat et la discrétion qu’on doit donner à ces personnes. C’est précisément la force de la BD. Si j’avais dû le faire pour la télévision, il aurait fallu flouter les gens ou embaucher des comédiens, alors que la BD peut le raconter de manière très fluide.

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Dans cet album, vous apportez une réflexion sur votre propre travail d’écriture de bande dessinée. Qu’est-ce qui caractérise une histoire digne d’être racontée, selon vous ?

J’aime bien aller chercher des histoires qu’on ne voit pas, soit parce qu’elles sont trop près, qu’on les côtoie tous les jours et qu’on manque de recul, soit parce qu’on n’y fait simplement pas gaffe. Les histoires que je mets en récit dans mes livres, j’essaie de les identifier au plus près de là où je suis, j’ai l’impression que ça me rend plus légitime à en parler. Quand je raconte une histoire de vigneron dans Les ignorants, je parle d’un gars qui vivait à quelques centaines de mètres de chez moi. Dans Les mauvaises gens, c’est la trajectoire de militants de mes parents. Cette fois-ci, je m’immerge dans le métier de ma compagne. C’est tout sauf de l’évasion ou des exploits extraordinaires ; au contraire, ce que je veux raconter, c’est des histoires de la vie quotidienne.

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Dans cette BD, vous vous mettez en scène, ainsi que votre compagne. Est-ce plus facile, ou, à l’inverse, un vrai défi, de dessiner une personne qu’on connaît très bien ?

C’est plutôt un défi. Je ne suis pas un portraitiste et je ne donne pas la priorité à la ressemblance absolue du personnage que je dessine avec la vraie personne. En tant qu’auteur de BD, ce qui compte, c’est que le personnage soit identifié par le lecteur. La Françoise Roy que je dessine ressemble à peu près à la vraie. Mais nos amis ou nos filles me disent que je la dessine parfois trop vieille ou trop jeune… C’est difficile de mettre le curseur exactement là où il faudrait qu’il soit, d’autant plus que les histoires qu’elle me restitue se déroulent sur plusieurs années.

Mais ce livre n’est pas comme les autres, je le fais avec la personne avec qui je vis, que je connais le mieux. La personne en qui j’ai le plus confiance au monde. C’est une partie de notre histoire de couple et c’est important de le représenter. J’aime bien mettre en scène des histoires, mais aussi la façon dont je les raconte, la manière dont elles me viennent ou encore mes discussions avec Françoise. Montrer l’envers du décor solidifie le récit.

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Avec cette BD, l’idée est-elle d’insuffler une prise de conscience et de repenser le soin apporté aux personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ?

Il y a une vraie question sociale. En France, un million de personnes sont touchées par la maladie. Sans compter les familles, elles aussi impactées par la maladie de leur proche. Pour autant, la question de l’accompagnement et de nos comportements vis-à-vis de ces personnes atteintes d’Alzheimer continue d’être invisibilisée. C’est une maladie qui ne se soigne pas, il faut donc repenser l’accompagnement. Ce sont des choix de société et des choix politiques. Que le métier de Françoise n’ait pas vraiment de nom, ce n’est pas anodin. Dès qu’elle accompagne une nouvelle personne, il faut qu’elle trouve la porte d’entrée. Ce sont des heures de petits gestes, de choses tactiles, de manipulation d’objets. C’est un métier précis, qui demande beaucoup d’attention et qui se joue exclusivement sur la relation humaine, mais qui n’a rien de spectaculaire en soi. C’est une manière de penser le soin dont nous allons avoir massivement besoin dans la société. Mais, pour l’anticiper, il faut d’abord bien connaître la réalité de cette maladie.

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