Finaliste du prix Joséphine 2025, Gabi Hartmann s’est entretenue avec L’Éclaireur. Rencontre avec l’une des étoiles montantes de la chanson française pour parler de sa nomination, mais surtout de son nouvel album La femme aux yeux de sel, paru en mars 2025.
Que signifie pour vous, en tant qu’artiste, le fait d’être nommée au prix Joséphine ?
C’est un prix que je trouve vraiment super, parce qu’il met en avant toute la diversité de la scène musicale française, avec des styles très différents. Je trouve ça bien que ça existe pour donner de la lumière à des musiques peut-être moins représentées lors d’événements comme les Victoires de la musique, qui valorisent souvent les artistes signés en major, très mainstream et francophones dans leur direction artistique. Le prix Joséphine permet d’élargir ce spectre et de rappeler à quel point la scène française est déjà incroyablement riche et diverse.
C’est aussi un espace de rencontres. Avez-vous eu l’occasion d’échanger avec les autres finalistes ?
Pas beaucoup, en réalité. On s’est rencontrés une seule fois lors de l’annonce des dix finalistes. On a un peu discuté, je connaissais déjà quelques personnes, y compris dans le jury. C’est une occasion rare de voir des artistes talentueux, issus d’univers très différents, réunis dans une même pièce. Mais on n’a pas eu l’occasion de se recroiser vraiment depuis.
Parlons de La femme aux yeux de sel. Vous le définissez comme un voyage initiatique dont la dernière partie serait celle de la sérénité. L’avez-vous atteinte depuis la sortie de l’album ?
Je ne dirais pas que je me sens plus sereine, mais j’ai grandi, tout simplement. La sérénité est un but, un idéal, mais pas un état dans lequel je me trouve réellement. La musique m’aide à me libérer de certaines choses. Cet album m’aide à raconter un reflet de ma vie, mais aussi une œuvre fantasmée.
J’avais envie de présenter un voyage initiatique, un personnage qui évolue et qui traverse des étapes dans sa vie. Souvent, on associe ce voyage à l’adolescence. Puis, à l’âge adulte, on passe à une forme de compréhension des échecs. On est face à la désillusion de nos fantasmes. Même le voyage parfois est une grande désillusion. J’avais donc envie de raconter ce passage de l’innocence de l’enfance à la mélancolie de l’âge adulte, puis tendre vers cette étape de sérénité, d’acceptation. Plus qu’une réalité, c’est un horizon.
Vous dites avoir construit votre album autour d’une histoire. Pourquoi était-ce important pour vous qu’il y ait une réelle narration ?
Pour moi, un album doit être une œuvre, au même titre qu’un roman. C’est une photo d’une période de la vie, ou bien un concept que l’on explore. Je voulais construire un album pensé comme un tout, avec une structure et un fil conducteur. J’ai essayé d’être la plus sincère possible, en prenant des risques et en restant libre. Je voulais un album qui me ressemble et que je considère comme une œuvre artistique qui doit prendre du temps, qui va se faire avec une structure et une réflexion derrière.
On retrouve aussi dans cet album le personnage de Salinda. Est-ce un alter ego ou bien une femme complètement à part de vous, que vous suivez au fil de vos chansons ?
C’est plutôt un alter ego, mais c’est aussi un personnage fantastique, presque comme une sirène. Sa malédiction n’est pas d’avoir des nageoires, mais de perdre la vue quand elle pleure, parce que ses yeux sont faits de sel. Elle est donc condamnée à choisir entre voir le monde ou assumer sa sensibilité et ses émotions. C’est une métaphore de la tristesse qui nous relie tous. Salinda me permet de transformer mon expérience personnelle en quelque chose d’universel ; ça pourrait être aussi bien un poème, une histoire pour enfants ou un personnage de film. Par ailleurs, les larmes et les yeux sont des thèmes qui reviennent souvent dans mes textes.
Est-ce quelque chose que vous “conscientisez” aujourd’hui, ce rapport aux larmes et aux yeux, justement ? Comment expliquez-vous cette “obsession” ?
Pour moi, les larmes sont associées à la féminité ; du moins, la société les a souvent associées à la féminité, même si ce n’est pas forcément une réalité en soi. C’est une forme de libération de la tristesse, comme l’acte créatif : chanter, faire de la musique, écrire, c’est faire sortir quelque chose de nous. Les larmes, c’est aussi ça. Heureusement qu’elles existent, parce que, si on ne pouvait jamais pleurer, ce serait horrible ! Pour moi, pleurer est une libération qui apaise. C’est un réel exutoire.
Votre musique se nourrit aussi de plusieurs langues. Chanter en français, en anglais, en portugais… est-ce explorer différentes facettes de vous-même ?
Je pense qu’on reste toujours soi-même, mais à l’intérieur de nous, il y a plusieurs facettes. Quand on chante dans une autre langue, on entre aussi en contact avec une culture, une histoire, pas seulement une musicalité.
Depuis toute petite, j’ai baigné dans des musiques brésiliennes, ouest-africaines, anglo-saxonnes… Et j’ai toujours voyagé. Dans ma famille, aussi, il y avait des personnes venues de différents pays. Assez tôt, je suis partie vivre à l’étranger. Chanter en plusieurs langues a toujours été une évidence.
Je ne deviens pas brésilienne en chantant en portugais ni anglaise en chantant en anglais. C’est simplement ma manière d’interpréter, avec mon vécu, mon accent, mes défauts. Chaque chanson raconte un voyage personnel, une histoire vécue. Certaines évoquent même directement des pays où je suis allée, comme Sikolaïko, inspirée de la Guinée.
Avez-vous l’impression d’avoir exploré toutes vos facettes avec cet album ?
Pas toutes, mais beaucoup. Cet album raconte à la fois mon enfance en France, qui est mon socle, et mon appel à aller ailleurs, voyager, découvrir, m’épanouir autrement. Chaque morceau est un coup de cœur musical, une chanson rencontrée sur ma route que j’ai réinterprétée avec respect et amour pour la culture dont elle est issue. C’est un voyage de découverte, où je rassemble toutes ces inspirations dans un fil conducteur.
Et maintenant, quelle est la suite pour vous ?
Je vais jouer au Trianon le 13 octobre, ce qui est une joie immense. Ensuite, il y aura une tournée à l’automne, puis ma première tournée aux États-Unis et au Canada, en mars. J’ai aussi des titres inédits enregistrés pour cet album qui n’étaient pas sortis et qui vont bientôt voir le jour. Puis je vais aussi retourner en studio, continuer à composer et à collaborer sur de nouveaux projets avec d’autres artistes.