Dans le milieu très masculin du manga, quatre femmes unissent leurs forces depuis 28 ans au sein du collectif Clamp. Ce groupe légendaire et très productif continue d’offrir des récits originaux et souvent connectés les uns aux autres.
C’est l’histoire de 11 jeunes femmes passionnées par le dessin qui se réunissent dès 1987 pour créer des doujinshi, des mangas autoédités. Très vite, cet amour des planches ne se limite plus à un passe-temps. Il se transforme progressivement en gagne-pain. Ensemble, elles décident alors de monter un collectif et se mettent d’accord sur un nom. Ce sera le Clamp.

Ces autrices lancent plusieurs projets et finissent par publier en 1989 leur première grande saga à sept, un shojo – manga pour jeunes filles – du nom de RG Veda. Le titre est un succès et leur ouvre des portes. Plusieurs membres décident de voler de leurs propres ailes, si bien que, dès l’année suivante, le Clamp n’est plus composé que de quatre membres. Peu importe. Nanase Ohkawa, Mokona, Tsubaki Nekoi et Satsuki Igarashi ne se quitteront jamais plus. Le succès ne s’éloignera pas davantage, malgré le départ d’une partie des membres du groupe initial.
Un organigramme très précis
Vingt-huit ans après la création du collectif, les quatre autrices ont vendu plus d’une centaine de millions d’exemplaires répartis sur près d’une trentaine d’œuvres. « Avec le temps, elles ont accédé au statut de mythe et sont même parfois surnommées les “Reines du manga”, précise Mehdi Benrabah, directeur éditorial chez Pika, l’éditeur français du Clamp. Elles font partie du patrimoine de la bande dessinée japonaise. »
Clamp n’est pas un studio comme les autres : il est composé exclusivement de femmes, à une époque où la scène de la bande dessinée japonaise est très largement dominée par les hommes. Cet ascendant est d’autant plus vrai au sein des productions de genres à grand tirage, comme le shōnen ou le seinen, à destination d’un public masculin.
Autre particularité : leurs œuvres sont toujours le fruit d’un travail collectif. À quatre, elles s’occupent de tout. La machine est bien huilée. Dans l’ensemble, Nanase Ohkawa est la scénariste et la cheffe de projet, Mokona la dessinatrice principale, Tsubaki Nekoi dessine aussi et s’occupe en plus de l’encrage, tandis que Satsuki Igarashi est la responsable des décors.

Cette organisation millimétrée n’empêche pas quelques couacs. À trop multiplier les projets, le Clamp ne les finit pas toujours. C’est le cas de X/1999, dans lequel un adolescent réalise qu’il est l’élément central d’une prophétie millénaire pour empêcher l’apocalypse de s’abattre sur le monde. La série à succès est bloquée à son 18ᵉ tome depuis 2002, alors qu’il n’en manque que trois pour achever l’histoire. De quoi frustrer les fans, qui n’ont plus beaucoup d’espoir de connaître la fin du récit.
Des thématiques variées et des multivers
Le titre Clamp le plus connu du grand public a heureusement eu droit à une fin en bonne et due forme. Sakura, chasseuse de carte – aussi connue sous le nom de Card Captor Sakura – est un shojo de type magical girl. Publié de 1996 à 2000, il se fait connaître en France grâce à sa diffusion sur la chaîne M6 et a droit à une suite en 16 tomes, Card Captor Sakura – Clear Card Arc, qui s’est terminée en 2023.
Le magical girl, qui donne la part belle aux personnages féminins dotés de pouvoirs et d’objets magiques, est un classique du manga japonais. Mais les filles du Clamp vont lui offrir avec Sakura une tonalité plus contemplative et plus psychologique. Et ça marche : le titre s’impose comme un classique et permet au groupe de gagner davantage en notoriété. D’autant que, pour le quatuor, les projets sont aussi multiples que variés.
Déjà, en 1990, elles publient un shojo autour d’une histoire d’exorcisme avec une tonalité de récit de détective. Puis, de 2003 à 2011, elles sortent xxxHolic, un manga plus mature qui, derrière des apparences légères, explore des thématiques sombres. « Elles sont capables de s’essayer à des genres différents, mais elles gardent toujours une même patte graphique caractérisée par une ambiance onirique et un grand sens du détail », précise Mehdi Benrabah. Un style qui plaît toujours.

Leurs créations continuent d’être adaptées en anime et ont eu droit l’année dernière à une prestigieuse exposition au Centre d’art national de Tokyo. La maison d’édition Pika a même lancé cette année une collection Clamp Universe. Une façon de satisfaire la fanbase et de « chercher de nouveaux lecteurs » qui ne connaîtraient pas encore les quatre autrices, tout en regroupant les œuvres du collectif.
Car la dernière particularité du travail du quatuor féminin est d’avoir créé un univers connecté. Ces multivers et les crossovers sont si récurrents qu’ils sont devenus une véritable marque de fabrique du collectif, bien avant la démocratisation de ces concepts par les adaptations cinématographiques de Marvel.