Chaque année, dans les flots tumultueux, âpres, mélancoliques de la rentrée littéraire, il se débattent pour faire triompher le rire sous toutes ses formes.
| Fabrice Caro, Les derniers jours de l’apesanteur
Depuis ses débuts littéraires, Fabrice Caro mène une double vie. Illustrateur le jour, romancier la nuit, comme un justicier doux-amer croquant, plume et crayon à la main, l’absurde de nos vies. Après le génial album Zaï Zaï Zaï Zaï – paru en 2015 et porté à l’écran par Jean-Paul Rouve, dans lequel il racontait la descente aux enfers d’un dessinateur coupable d’avoir oublié sa carte de fidélité au moment de passer en caisse – et Le discours, roman jubilatoire lui aussi adapté au cinéma – qui nous plongeait dans la tête d’Adrien, un quarantenaire déprimé, horrifié de devoir dire quelques mots au mariage de sa sœur –, il récidive aujourd’hui avec Les derniers jours de l’apesanteur, un nouveau conte des temps modernes où la mélancolie dispute à la tendresse et à l’humour.
Un septième roman comme une chronique de la jeunesse des années 1980. Daniel et ses deux meilleurs amis, Marc et Justin, grandissent tiraillés par la fougue de l’adolescence et rêvent d’amour, de passion et, peut-être, qui sait, de sexe avec les filles de leur lycée. Même s’il n’en a pas fini avec sa terminale, le bac est encore loin dans la tête de Daniel, qui ne pense qu’à reconquérir Cathy Mourier, qui s’est entichée de cet idiot de Gilles Rouquet. Surtout, il se retrouve piégé dans une drôle de situation. Alors qu’il dispense des cours particuliers à une fille intrigante et mutique, Béatrice Rigaux, il devient la cible d’avances osées de la part de sa mère.
Sous la plume enlevée de Fabcaro, hilarante le plus souvent, mais douce-amère aussi, on replonge avec un plaisir non dissimulé dans les années de bascule où l’on subit et célèbre à la fois les adieux à l’enfance, la perte de l’insouciance. À l’image de nos chambres d’adolescents, peuplées de poster et de bibelots, le roman est bourré de références pop, de clins d’œil aux années 1980 et de madeleines de Proust réjouissantes. Un bijou à l’humour tendre pour rappeler que l’âge ingrat de la vie est aussi celui qui nous marque pour toujours.
| Victor Pouchet, Voyage voyage
Dès qu’ils apprennent la terrible nouvelle, Marie et Orso laissent tout en plan. La vaisselle dans l’évier, l’ordinateur ouvert, le frigo plein pour filer à l’anglaise. Tout quitter sans réfléchir pour éviter d’être consumés par le chagrin de cette fausse couche. Ils ont pris la route, portés par un drôle d’élan réparateur. Nul doute que le tube de Desireless, qui prête son nom au roman, tient une place de choix dans la playlist spéciale année 1980 qu’ils ont concocté pour traverser la France au volant de leur vieille Renault 21 Nevada, voiture emblématique de cette période, remise au goût du jour par les films de Jean-Paul Rouve, Les Tuche.
Première étape, Mécringes, le musée des Poids et Mesures, point de départ d’un road trip loufoque qui les emmènera du musée de l’Amiante au musée du Pigeon, en passant par le musée de la Gendarmerie à Saint-Tropez. Quel régal que ce pèlerinage sur les chemins des lieux les plus insolites, porté par un duo émouvant, persuadé de trouver dans l’absurdité de la vie les motifs d’une consolation ! Une aventure douce-amère, où humour et poésie cohabitent avec joie.
| Arno Bertina, Des obus, des fesses et des prothèses
Cofondateur de la revue bimestrielle littéraire et philosophique Inculte, qui s’amuse à bousculer les formes et les thématiques traditionnelles de la littérature, Arno Bertina s’évertue à trouver du tragique et du grotesque dans chaque chose et dans chaque histoire. Alors, quand un ami lui raconte l’existence, à Gammarth, au nord de Tunis, d’un palace au bord de la Méditerranée où, dans l’après Ben Ali, cohabitaient des rescapés mutilés de la guerre en Libye et des femmes en train de récupérer de leur opération au rabais de chirurgie esthétique des seins ou du nez, il y voit immédiatement la matière d’un livre. « D’un côté de la piscine, il y a les hommes diminués, de l’autre, les femmes augmentées. » Le monde est-il devenu fou à ce point ?
Le romancier façonne un petit théâtre de l’absurde et de la cruauté qui dérange. Quatre actes, quatre voix. Pour planter le décor, Rafika, institutrice qui fait des heures comme aide-soignante parce qu’il faut bien vivre. Puis vient Madjed, le chirurgien criblé d’éclats d’obus, Naïma, une des femmes qui récupèrent au bord de la piscine et, pour finir, Hassen, gamin des rues de Sidi Bouzid. Ils forment un le cortège déroutant de la violence contemporaine. À force d’être abominable, le roman devient drôle et fait naître chez le lecteur un rire jaune, très jaune, mais un rire quand même, qui marque les esprits et fend les cœurs. D’où jaillit une flamme inattendue : il est temps de se battre pour un monde meilleur.