Entretien

Titiou Lecoq : “Je réfléchissais à Roland Barthes en changeant la litière des chats”

18 septembre 2025
Par Samuel Leveque
Titiou Lecoq dévoile “La vie ressemble à ça”.
Titiou Lecoq dévoile “La vie ressemble à ça”. ©Les joues rouges

[Rentrée littéraire 2025] La vie ressemble à ça, le dernier recueil de textes de Titiou Lecoq, était l’occasion pour elle de faire le point sur ses pensées et ses réflexions. À l’occasion de la parution de l’ouvrage, elle a accordé une interview à L’Éclaireur.

Journaliste ayant travaillé des années pour Slate et Libération, Titiou Lecoq s’est également faite connaître pour ses essais féministes et pour son éclectisme littéraire : tour à tour romancière, biographe ou podcasteuse, elle a multiplié les formes créatives depuis une dizaine d’années. Son 13e livre, La vie ressemble à ça, à paraître aux éditions de L’Iconoclaste le 24 septembre, prend une forme légèrement différente, en compilant les réflexions de l’autrice sur un grand nombre de sujets. Titiou Lecoq nous a reçus à cette occasion pour échanger autour de cet ouvrage singulier.

Couverture de La vie ressemble à ça. ©L'Iconoclaste

Ce livre est assez différent de vos précédents ouvrages. Il s’agit d’un ensemble de pensées, de considérations personnelles, de courts chapitres sur des faits historiques ou sociaux… Un peu à la manière des recueils de maximes du XVIIIe siècle. Comment en êtes-vous arrivée à écrire un livre avec cette forme particulière ?

Ce livre est la synthèse de trois livres que je voulais écrire. J’ai arrêté le journalisme il y a quatre ans maintenant, mais il y a des articles que j’ai écrits auxquels je tiens beaucoup, sur des thématiques sur lesquelles j’ai beaucoup travaillé, comme les féminicides et la parentalité. Mais je ne me vois pas me transformer en Jacques Attali non plus et juste faire un livre avec mes articles.

D’autre part, j’ai continué à noter énormément de choses sur ce que je lis, ce que je vois, sur des sujets d’actualité, mais sans vouloir en faire un essai ou un livre complet chaque fois. Et j’avais cette idée aussi d’écrire sur la thématique : “Qu’est-ce que je veux transmettre à mes enfants ? » J’ai demandé aux gens sur Internet leurs conseils de vie, et j’en ai fait ce recueil de mini-histoires. C’est amusant que vous parliez du XVIIIe siècle, car effectivement, cette forme littéraire existait déjà, mais c’est très adapté à notre époque. C’est comme scroller un flux sur un réseau social où tu ne sais pas trop sur quoi tu vas tomber !

Vous évoquez effectivement l’idée de transmettre des choses à vos enfants, en évoquant souvent le fait “d’y croire malgré tout”, même si l’époque est très difficile. Était-ce une démarche consciente ?

Oui, absolument ! C’est une idée qui était déjà très présente dans mon dernier roman, Une époque en or. L’expérience existentielle actuelle est très étrange : on vit comme si tout allait bien, tout en étant conscient que tout risque d’aller de mal en pis. Alors que ma génération a grandi avec l’idée de progrès, que tout allait aller de mieux en mieux. On a vécu une bascule dans quelque chose de très différent. C’est compliqué de savoir comment gérer ça au quotidien, tout comme les angoisses qui ça suscite ! C’est un axe qui me permettait de parler de la montée du fascisme, des angoisses, de la mort… C’est une promenade dans mon cerveau.

Toutes vos réflexions autour de la parentalité sont passionnantes. Vous vous posez la question de comment bien élever des enfants dans ce contexte, mais aussi de la charge qui pèse sur les mères, ainsi que sur la pression d’être un “bon parent”.

La question de la parentalité m’a toujours passionnée, même bien avant d’être mère ! Je passais mes mercredis à écouter les émissions sur la parentalité sur France Inter. [Rires] Ce qui fait que, quand je suis devenue mère, je m’étais forgé beaucoup de principes à ce sujet. Et j’ai toujours continué à lire sur le sujet à chaque étape de la vie de mes enfants, d’autant plus que j’ai eu des garçons, ce qui m’a forcée à repenser les choses.

Une partie de ma réflexion, dont je parle dans le livre en donnant mes conseils de parentalité, a été d’affirmer qu’il faut se souvenir qu’un enfant n’est pas un projet politique. C’est fondamental de l’accepter. On peut accompagner ses enfants, mais c’est aussi indispensable de les lâcher. On voudrait qu’ils correspondent à nos idéaux et qu’ils sauvent la planète, mais il faut accepter que ce ne soit pas comme ça que ça se passe.

Interview de Titiou Lecoq.

Dans le sens où un enfant ne peut pas être une copie de soi-même ou de ce qu’on voudrait qu’il soit ?

Oui, il faut accepter de lâcher cette idée. C’est très important de réfléchir à la bonne manière d’éduquer des garçons, mais il ne faut pas faire d’eux les porteurs de l’avenir du féminisme. Il faut trouver un chemin au milieu de tout ça.

D’ailleurs, vous revenez beaucoup sur le concept de charge mentale quotidienne que vous avez aidé à faire connaître en France, mais aussi sur la question des disparités économiques dans le couple hétérosexuel, à laquelle vous avez consacré un podcast et un livre. Percevez-vous des évolutions positives à ce sujet dans la société ?

Oui, tout de même un peu ! Il y a des changements. Les jeunes pères consacrent plus de temps à leurs enfants. C’est juste qu’en moyenne, ils ne font pas les tâches les plus pénibles. En parallèle, les mères aussi passent en moyenne davantage de temps avec leurs enfants. L’écart entre les deux reste donc important. Donc oui, ça bouge, y compris sur les questions financières. L’écart de revenu dans le couple est toujours aussi important, mais la conscience de ces inégalités est beaucoup plus présente chez les femmes.

La nécessité de se constituer une éducation financière quand on est une femme a beaucoup progressé dans la société. Tout ne va pas se résoudre d’un coup, mais le simple fait d’avoir conscience que ça existe est déjà quelque chose. C’est pareil pour la charge mentale : avoir les mots pour en parler fait qu’on a pu en prendre conscience et avoir des témoignages a permis d’avancer sur la question. Idem pour les féminicides : quand j’ai commencé à travailler dessus en 2016, le mot n’existait même pas, et maintenant c’est devenu un mot pour parler du fait. Même les gens qui sont hyper réticents au concept se sont mis à adopter le mot et à savoir ce que c’est qu’un féminicide, une charge mentale, etc. C’est une forme de guerre culturelle.

Un autre point marquant du livre, c’est son interdisciplinarité. On va autant du côté de la socio que de l’histoire de l’art ou de l’économie, en passant par quelque chose proche de la fiction ou de l’autofiction. Est-ce habituel dans votre manière de travailler ?

Rends l’argent : l’argent, le dernier tabou des couples.

Il y a énormément de sujets qui m’intéressent. Pour ce livre, je voulais autant avoir des choses conceptuelles que des choses très pragmatiques et concrètes. Je voulais autant parler de mon rapport à la mort que de ma manière de supprimer les odeurs au fond de la poubelle avec du bicarbonate de soude. L’idée d’avoir les deux choses dans le même livre, ce n’est pas juste que je trouve ça drôle : ça traduit une vision de la vie !

Dans l’intro du livre, je raconte comment je réfléchissais à Roland Barthes en changeant la litière des chats. À mon sens, c’est aussi en lien avec le féminisme : être dans une praxis, c’est-à-dire faire, et en même temps réfléchir. Je me retrouve sur plein de domaines différents, car je suis très sensible à ça : lier la pratique des gestes matériels du quotidien au domaine intellectuel. Je voulais absolument parler de Baudrillard, mais en rendant ça ultra-accessible. Alors, je l’ai abordé en parlant d’Instagram et des photos de vacances. Dans votre vie quotidienne, vous vivez du Baudrillard !

Considérez-vous que vous faites de la vulgarisation ?

Oui, je pense ! En y ajoutant ma touche personnelle. Je ne sais pas du tout si Baudrillard aurait été content de ce que je dis de lui, mais en tout cas j’essaie de faire un lien entre lui et mes réflexions. Je n’ai aucun problème avec le mot « vulgarisation ».

Vous avez fait beaucoup de choses différentes ces dernières années… Est-ce qu’il y a un domaine artistique que vous n’avez pas encore touché et qui vous fait envie pour la suite ?

J’aime bien que chacun de mes livres et de mes projets soit dans une forme que je n’ai pas abordée avant. J’ai écrit des romans, mais aussi une biographie, des essais économiques, un essai historique… En général, chaque fois que je dis : “Je ne ferai jamais ça”, je finis par le faire ! Alors je peux vous dire sincèrement : « Je n’écrirai jamais de poésie », mais peut-être en écrirai-je ? De même, je ne pense pas écrire un jour de science-fiction, ce n’est pas du tout mon truc.

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Récemment, j’ai même eu la chance de scénariser une bande dessinée. Finalement, mon outil principal, c’est le langage, et je veux le tester sous plein de formes différentes. Y compris pour mes romans : mon tout premier, Les morues, était un roman policier, alors qu’Une époque en or a pris la forme d’une chasse au trésor.

Si ça se trouve, vous écrirez quand même de la science-fiction dans dix ans !

Oui, tout en alexandrins !

Si vous aviez une machine à remonter dans le temps, quelle œuvre voudriez-vous faire lire à la Titiou Lecoq adolescente ?

Je lui donnerai les œuvres de Julia Wertz ! Particulièrement Whiskey & New York, un de ses ouvrages autobiographiques où elle parle de sa vie, de sa famille, de l’alcoolisme…

Quel est votre dernier coup de cœur culturel qui a changé votre façon de voir les choses ?

Un des plus grands romans que j’ai lu l’année dernière, La huitième vie (pour Brilka), par l’autrice géorgienne Nino Haratischwili ; 1 200 pages d’une grande fresque politique et, en même temps, le grand portrait d’une famille tout au long du XXe siècle. Je le recommande vraiment, il ne faut pas se laisser intimider par la longueur du livre, il est vraiment passionnant.

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