Après le succès de Palais d’argile (2021), Feu! Chatterton revient avec Labyrinthe, un quatrième disque aux sonorités plus pop et nettement plus sombre, mais traversé par de sublimes éclaircies. Rencontre.
Arthur Teboul, Antoine Wilson, Clément Doumic, Raphaël de Pressigny et Sébastien Wolf ont noué des liens sur les bancs du lycée. Pour fêter leurs 15 ans de vie commune au sein du groupe Feu! Chatterton, ils se produiront à deux reprises à l’Accor Arena en février 2026. Mais avant ces concerts, qui s’annoncent mémorables, le quintette français dévoile Labyrinthe, un opus crépusculaire qui témoigne d’une grande liberté artistique et d’une nouvelle manière d’appréhender la musique.
Labyrinthe est une ode à l’errance, à l’incertitude et à l’aventure. Comment ces grands thèmes se sont-ils dessinés au fil du temps ?
Arthur Teboul : De manière générale, quand nous nous lançons dans la conception d’un album, nous n’avons pas de plan. La musique est pour nous un moment de découverte, presque un rituel, avec des aspects psychanalytiques ou mystiques. Notre métier d’artiste consiste à transformer ce qui nous traverse à ces moments-là en chansons.
Quand nous avons terminé et assemblé nos 13 nouveaux titres, il nous est effectivement apparu qu’un grand thème se détachait : celui de l’errance. L’errance, c’est oser faire un pas de plus ou de côté, prendre des risques, explorer, ne pas avoir peur de se perdre et, surtout, se faire confiance. Pour cela, il faut rester positif et croire qu’un ailleurs plein de promesses existe. Nous y croyons et nous nous nourrissons de ce vagabondage.
Pour composer Labyrinthe, plus pop et éclectique que vos précédents albums, vous vous êtes aventurés vers de nouveaux horizons musicaux. Qu’y avez-vous découvert ?
Sébastien Wolf : Cette direction s’est imposée à nous naturellement. Nous sortions d’un cycle de trois albums qui nous a menés à Palais d’argile (2021), notre plus gros succès, mais aussi à la fin d’un processus. Nous nous étions enfermés dans une manière de produire héritée du rock des années 1970 : passer trois semaines en studio, puis en ressortir avec un disque terminé. Pour celui-ci, nous avons en partie procédé différemment, grâce à Alexis Delong (collaborateur de Zaho de Sagazan), avec qui nous avons coréalisé l’album. Venant davantage de la musique électronique et du hip-hop, il nous prenait presque pour des dinosaures. Avec et grâce à lui, nous nous sommes attardés sur certains morceaux plus longtemps, sans limites de temps ni d’espace, afin d’explorer d’autres sonorités, plus pop, moins organiques, et en leur apportant une attention toute particulière.
Ce disque est donc aussi celui d’une errance musicale ?
Sébastien Wolf : Absolument, mais c’est aussi celle d’un groupe qui a traversé plus de deux ans très compliqués. Nous étions au bord de l’implosion. Au cours de cette errance, notre manager Jean-Philippe Allard – à qui nous rendons hommage dans Mille vagues et qui avait d’ailleurs commencé sa carrière comme vendeur à la Fnac des Ternes, à Paris – est décédé. Certains d’entre nous ont eu des enfants, et nous avons dû, comme tout le monde, affronter une société très violente, qui s’est assombrie. Ce disque est la photographie de cinq copains un peu perdus, une position que nous avons fini par accepter.
Vous faites ici part d’une grande liberté de format et de style, qui évoque celle de Radiohead. Ce groupe a-t-il été pour vous une source d’inspiration ?
Clément Doumic : Ce n’est pas un hasard si nous sommes cinq dans le groupe ! [Rires] Nous en sommes tous fans. Radiohead a donné à Sébastien et à moi l’envie de nous lancer, et il nous a beaucoup influencés, consciemment ou inconsciemment. Notamment sur les formats : une chanson doit prendre le temps qu’elle mérite. Si tout est dit en une minute, alors elle doit durer une minute. Mais parfois, elle peut en nécessiter plus de cinq. Nous ne nous fixons aucune limite.
Dans cet album, il est question d’aventure, d’Alcazar, de Monolithe, de Carrousel et de pyramide (Sous la pyramide), ce qui confère une ambiance de conte et de légende, voire parfois une atmosphère de jeu vidéo empreint d’heroic fantasy. Quel est votre rapport à ces univers ?
Arthur Teboul : Entre l’album précédent et celui-ci, je suis devenu père. Naturellement, ma manière de raconter des histoires a changé. Le conte permet de créer plusieurs niveaux de lecture et d’avertir en douceur les enfants des dangers du monde. Cet aspect-là m’a profondément habité. Pour les autres, les influences sont moins évidentes, mais nous sommes des enfants des années 1980 et 1990, de l’avènement du jeu vidéo et du tout numérique. Ça a forcément joué un rôle ! Il y a d’ailleurs un petit côté médiéval dans Ce qu’on devient.
Ce qu’on devient, puisqu’on en parle, est un sommet de l’album, constitué de deux niveaux de lecture : une histoire d’amour et celle de votre groupe.
Arthur Teboul : Je suis convaincu moi aussi que c’est l’une des plus belles chansons de l’album. Elle a été écrite en une nuit, alors que, par la fenêtre, je voyais l’asphalte scintiller après le passage de la pluie. Elle raconte l’histoire d’un amour qui s’éternise, qu’on voudrait voir durer : “Je sais que le temps passe / Je sais qu’on n’est plus rien / Dis-moi ce qu’on devient.” Ce disque est celui de l’exploration, et donc du devenir.
Sébastien Wolf : Même si l’idée de départ était une histoire d’amour, cette chanson parle aussi de nous, de nos doutes, de l’implosion qui nous menaçait. Arthur a su mettre ces émotions en mots, ce qui a renforcé notre confiance et, d’une certaine façon, nous a sauvés. Il dit : “Ce qui arrivera sera grand !” L’album est souvent sombre, mais il reste plein d’espoir.
Et qui dit errance, dit étranger. Vous adaptez dans la chanson L’étranger un poème de Louis Aragon, J’arrive où je suis étranger, un très beau texte sur le vieillissement.
Arthur Teboul : Le thème de l’étranger, ou de l’altérité, traverse ce disque et, plus largement, toute notre discographie. Il est essentiel à notre époque. Notre nature humaine nous rassemble. Ce que nous avons en commun avec l’étranger est plus important que ce qui nous différencie. Et puis, nous sommes nous aussi l’étranger de l’étranger. L’exploration consiste à se retrouver en terre étrangère, sous forme d’exil, mais aussi de vieillissement. Dans les deux cas, nous allons vers l’inconnu. L’accepter est un soulagement.
Et pour vous, la prochaine inconnue sera l’Accor Arena. Vous y jouerez deux soirs consécutifs, les 10 et 11 février 2026. Quelles surprises nous réservez-vous ?
Arthur Teboul : Nous y fêterons nos 15 ans de vie commune et tout le chemin parcouru. C’est beau ! Nous sommes des enfants de Paname, et nous avons longtemps gravité autour de cette salle. Adolescents, nous allions y voir nos groupes préférés. C’était un rêve ! On y jouera longtemps et des titres issus de notre premier EP à notre dernier album.
Sébastien Wolf : Pour le moment, nous sommes en pleine préparation, il nous est donc difficile de donner trop de détails, mais nous pouvons vous dire que nous avons des ambitions pyrotechniques ! [Rires]