Florence Cestac plonge dans ses archives dans l’album Elle ne fait pas son âge… mais bien d’autres choses. Un assemblage de ses planches qui rappelle combien la dessinatrice a cassé les codes du 9ème art. L’occasion pour revenir avec l’autrice sur ses héroïnes qui ont renversé les normes de la féminité en BD.
Quel point commun unit vos personnages féminins ?
J’ai toujours raconté des histoires de filles et de femmes. Je pense qu’on raconte bien ce qu’on connait bien, donc très souvent les histoires que je raconte dans mes bandes dessinées sont tirées de mes propres expériences ou celles des femmes qui m’entourent. Dans Elle ne fait pas son âge…, je rassemble desplanches parues dans la revue féminine Femme majuscule, pour qui je réalisais une page tous les mois. C’était assez novateur de parler de sujets liés aux femmes en BD, alors même que c’était une publication qui ne traitait pas de bande dessinée. En faisant le tri dans mes archives, j’ai pris conscience des avancées de ces dernières années mais aussi, et surtout, celles qui sont encore nécessaires, beaucoup de mes planches sur les relations entre les hommes et les femmes restent d’actualité.
Votre spécialité c’est « le féminisme qui se décline en version gros nez ». Qu’entendez-vous par là ?
Ça c’est l’influence directe de mes lectures enfantines. Je dévorais tous les albums de Gaston Lagaffe, Popeye et compagnie, qui ont tous des gros nez. C’est donc très instinctivement que j’ai commencé à dessiner mes personnages, notamment féminins, avec des gros nez. À l’époque, ça dénotait totalement de la manière dont étaient représentées les femmes en BD. Les garçons, eux, avaient tendance à dessiner des femmes fantasmées, avec des gros seins. Je suis plutôt de l’école Claire Bretécher, où on se dessine comme on est, sans fioriture, et avec beaucoup d’autodérision. J’aime bien me moquer des femmes et, surtout, des hommes. L’humour c’est ma manière de raconter. Je pense sincèrement qu’on peut aborder tous les sujets de cette façon, sans jamais être vulgaire. C’est aussi ma manière d’avancer dans la vie.
Depuis 1997, une héroïne vous accompagne : Noémie. Quel est l’origine de ce personnage ?
Noémie c’est un peu moi, mon double. Le premier album qui la met en scène c’est Le Démon de midi, qui est directement inspiré de mon vécu : le mec qui quitte sa femme à 40 ans pour une femme plus jeune, un grand classique. À l’époque, c’était thérapeutique de travailler sur le sujet parce que j’étais en plein dedans.
À sa sortie, l’album faisait tâche dans la production de bande dessinée, déjà parce qu’il n’y avait pas beaucoup de dessinatrices mais aussi parce que ce sujet était tristement classique et universel qu’on me disait que c’était bateau et pas intéressant. Mais ça a eu un succès retentissant ! C’est par le bouche à oreille que beaucoup de femmes l’ont acheté. C’était inattendu parce que les femmes n’achetaient pas beaucoup de BD à cette époque. L’histoire a ensuite été adaptée au théâtre par Michel Bernier, puis au cinéma par Marie-Pascale Osterrieth en 2005.
Dans le dernier chapitre de ses aventures, paru en janvier 2025, Noémie devient grand-mère et bascule dans la « sénescence enchantée ». Comment définiriez-vous ce concept ?
Je publie un nouveau volet des aventures de Noémie tous les 10-15 ans. Après Le Démon de midi, il y a eu Le Démon d’après-midi (2005), Le Démon du soir (2013) et enfin Le Démon de Mamie (2025). Ce sont souvent des expériences que j’ai vécu, j’accumule des anecdotes, des histoires et je m’y mets. J’ai eu l’idée de ce dernier album en devenant moi-même grand-mère. Je ne connaissais pas le mot « sénescence », qui désigne le ralentissement de l’activité vitale chez les personnes vieillissantes.
C’est en lisant le livre de Simone de Beauvoir sur la vieillesse que je l’ai découvert, je l’ai trouvé joli, ça donnait presque envie [rires]. Mais la sénescence « enchantée » c’est un gag bien sûr, ce n’est pas enchanté du tout, c’est pour mieux faire passer la pilule.
Dans Elle ne fait pas son âge, on découvre une couverture dessinée destinée au magazine ELLE, mais elle n’a jamais été publiée. Que s’est-il passé ?
À l’occasion des 50 ans du magazine, ils avaient sollicité plusieurs artistes pour réaliser des couvertures. On avait carte blanche donc je me suis beaucoup amusé à la faire. Pendant trop longtemps on a voulu nous faire croire que l’humour était réservé aux garçons, comme si les filles ne pouvaient pas être drôles mais seulement jolies. Pour cette couverture, je voulais tourner en dérision ce cliché. Mais, comme par hasard, il n’y avait plus de place pour passer mon dessin… Je pense que le côté gros nez, clown, rigolo, ne leur a pas plu.

Quelle autre héroïne de BD vous a marqué ?
Enfant, j’adorais les histoires de Tartine Mariol, dont la protagoniste était une grand-mère. C’était des petits formats, un peu comme Pipo ou Pepito. J’en lisais énormément mais c’était interdit à l’école, donc je les planquais au fond de mon cartable, c’était mes petites madeleines à moi. La bande dessinée c’était mal vu à l’époque, surtout ces histoires marrantes qui s’adressaient aux gamins, après il fallait arrêter d’en lire. Quand à 15 ans, ado, je lisais encore des BD, mes parents étaient très inquiets. Résultat : j’en ai fait mon métier !