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Les plateformes de streaming musical noyées sous l’intelligence artificielle

04 août 2025
Par Pierre Crochart
Deezer est la seule plateforme de streaming a identifier les titres générés par IA.
Deezer est la seule plateforme de streaming a identifier les titres générés par IA. ©Capture d'écran

En janvier dernier, 10 000 titres générés par IA étaient publiés chaque jour sur les plateformes. Il y en aurait aujourd’hui deux fois plus.

D’après de nouveaux chiffres partagés par Deezer au journal Le Monde, plus de 20 000 morceaux générés par intelligence artificielle sont uploadés quotidiennement sur la plateforme française et ses concurrents. Une véritable déferlante, qui pose autant de questions éthiques qu’elle tire les revenus des véritables musiciens vers le bas.

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18% de la nouvelle musique mondiale est générée par IA

Deezer, qui est la seule plateforme de streaming musical à avoir pris des mesures concrètes pour lutter contre la propagation de musique générée par intelligence artificielle, révèle ainsi que 18% de la musique mise en ligne quotidiennement sur la plateforme n’a pas été composée par un humain. Un chiffre sous-estimé, écrit Le Monde dans son enquête, en cela que beaucoup de titres parviennent à passer entre les mailles du filet.

Au cœur de ce système de plus en plus lucratif se trouve Suno. La startup américaine, qui cumule plus de 50 millions de visites par mois, permet de créer un tube en quelques clics et en un prompt bien senti. La « chanteuse » soul Etta Mae Hartwell, qui a déjà sorti deux albums et une compilation cette année, est un pur produit de Suno. Le Monde a retrouvé la trace de la personne qui l’a créée de toutes pièces. Ersan Genç, un « passionné résidant en Turquie », dit avoir d’abord cherché à « expérimenter pour le plaisir », et gère d’ailleurs le catalogue d’autres stars virtuelles.

Piochant dans le catalogue de Suno comme on construit un Lego à partir de blocs disparates, l’homme écrit que « la voix d’Etta est celle avec laquelle j’ai trouvé le plus d’atomes crochus. C’est aussi celle qui a trouvé le plus de succès chez les auditeurs. »

« Grâce à l’IA, maintenant, on peut générer des catalogues qui sont complètement réalistes », raconte au Monde Aurélien Hérault, directeur de l’innovation chez Deezer.

Des stars montantes qui pourraient rapporter gros

Si toutes les personnes à l’origine de ces musiques générées par IA interrogées par Le Monde semblent mues par une curiosité artistique, d’autres y voient surtout une opportunité de gagner de l’argent en piétinant la question du droit d’auteur — centrale, lorsqu’on parle d’intelligence artificielle générative. Des faussaires identifient des groupes à la popularité modérée, qui auraient cessé leur activité musicale, afin de publier des albums en leur nom et espérer profiter de leur aura pour engranger les écoutes. Le Monde cite l’exemple du groupe de métal Atomship, disparu il y a cinq ans, qui aurait pourtant publié trois albums au mois de mai dernier.

The Velvet Sundown
The Velvet Sundown©DR

L’argent, pourtant, peu des interlocuteurs du quotidien français ont accepté d’en parler. À l’exception de Cimmeris, pilotée par une Britannique qui a avoué au Monde avoir reçu un premier versement d’environ 210 €, pour une vingtaine de singles publiés sur les plateformes entre mai et juillet 2025. Cette « artiste » revendique environ 15 000 auditeurs mensuels sur Spotify. À titre de comparaison, The Velvet Sundown, ou l’arbre qui cache la forêt des musiques générées par IA sur les plateformes, culmine à 978 810 auditeurs mensuels. Le premier juillet, au moment de la publication de notre article sur le sujet, le groupe fictif dépassait à peine les 575 000.

Le nœud du problème étant que la rémunération des artistes sur les plateformes de streaming fonctionne sur le principe d’un pot commun, alimenté par l’argent des abonnements. Or, plus il y a d’artistes, plus la part des revenus attribués à chacun est faible. Et, au vu du rythme de production des morceaux générés par IA, les véritables musiciens pourraient être tentés d’utiliser, eux aussi, ces outils pour suivre le rythme. Au risque que l’expression artistique soit reléguée au second plan.

Ce week-end, le prolifique rappeur français Jul a provoqué un tollé sur la toile avec son dernier single, Toi et moi, que beaucoup accusent d’avoir été généré par IA.

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Article rédigé par
Pierre Crochart
Pierre Crochart
Journaliste