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L’affaire du tiret cadratin : quand un signe de ponctuation devient un symbole de l’IA

02 juillet 2025
Par Sofian Nouira
L’affaire du tiret cadratin : quand un signe de ponctuation devient un symbole de l’IA
©Image IA / L'Éclaireur Fnac

Il était un simple signe de ponctuation. Le tiret cadratin — ce long trait si caractéristique — est aujourd’hui devenu un objet de méfiance. Son usage, autrefois preuve d’une écriture soignée, est désormais perçu comme une signature quasi infaillible des textes générés par intelligence artificielle. Une suspicion qui sème le trouble chez les rédacteurs et les pousse parfois à une étrange autocensure. Retour sur un énième paradoxe de notre ère numérique.

À mesure qu’elle se développe, l’intelligence artificielle va faire toujours plus de victimes. Pourtant, nous n’aurions certainement pas prédit que l’une d’entre elles serait le tiret cadratin. Pour ceux qui ne s’en souviennent plus, il s’agit de ce long trait — l’un des nombreux signes de ponctuation en France et ailleurs —, qui se retrouve aujourd’hui au cœur d’une polémique inattendue : son usage serait devenu un marqueur quasi infaillible des textes générés par intelligence artificielle. Alors, simple fantasme ou véritable signature robotique ?

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Une ponctuation historique devenue suspecte

Tout a commencé, comme souvent, sur les réseaux sociaux. Depuis plusieurs mois, des utilisateurs se plaignent d’être accusés à tort d’avoir recours à des outils comme ChatGPT simplement pour leur maîtrise de la ponctuation. Sur des forums comme Reddit, les témoignages se multiplient. L’utilisateur « samx3i » se plaint par exemple : « on m’a accusé d’utiliser ChatGPT parce que j’utilise correctement les tirets et que j’utilise rarement des parenthèses ».

Une accusation paradoxale quand on sait que l’usage du tiret cadratin est loin d’être une nouveauté. Ses premières attestations précises comme signe de ponctuation remontent à la typographie classique du XVe siècle, avant que son usage pour introduire les dialogues et encadrer les incises ne se généralise surtout à partir du XVIIIe siècle. Il est ensuite formellement intégré aux manuels de typographie au XIXe siècle. Un héritage historique qui se heurte aujourd’hui à une méfiance toute technologique.

Pour y voir plus clair, nous nous sommes tournés vers Sophie Vignoles, linguiste et cheffe de la production de contenu d’apprentissage chez Babbel. Selon elle, si l’IA use et abuse de ce signe, ce n’est pas par choix stylistique, mais par pur mimétisme.

« L’IA, formée sur des milliards de mots écrits par des humains, reproduit simplement les modèles stylistiques les plus courants. Ainsi, si ce signe apparaît fréquemment dans les textes générés par machine, ce n’est pas qu’une signature de l’IA, mais le reflet d’un style profondément ancré dans nos pratiques d’écriture. »

Illustration intelligence artificielle
©Cybermagician / Shutterstock

La crainte de paraître artificiel

Cette situation crée un drôle de paradoxe où l’humain se met à craindre ses propres outils linguistiques, de peur d’être confondu avec la machine. Sophie Vignoles analyse cette tendance avec une certaine ironie :

« Des étudiants qui privilégient les tirets cadratins dans leurs rédactions sont parfois accusés à tort d’utiliser l’IA, tandis que les écrivains commencent désormais à douter de leurs choix stylistiques naturels pour éviter de paraître artificiels. […] C’est une étrange ironie de notre époque que dans une ère de créativité sans précédent, les humains hésitent de plus en plus à écrire comme des humains. »

Alors, que faire ? Faut-il bannir le tiret cadratin pour prouver son humanité ? Pour Sophie Vignoles, la solution ne réside pas dans l’abandon de nos habitudes, mais dans l’instauration d’un nouveau rapport à l’écrit, basé sur la confiance et la transparence.

« Derrière ce doute qui s’insinue à la vue d’un tiret cadratin se cache une thématique au cœur de notre rapport à l’IA qui est celle de la confiance et de la transparence. […] La richesse de l’écriture ne réside pas dans la certitude absolue de son origine, mais dans la confiance que nous accordons à l’acte de communication lui-même. »

Cette affaire du tiret cadratin est finalement moins anecdotique qu’il n’y paraît. Elle révèle nos angoisses face à une technologie qui brouille les pistes entre création humaine et production automatisée. Le risque, à terme, est de voir les rédacteurs s’autocensurer, appauvrissant leur style pour ne pas éveiller les soupçons. Après tout, le geste le plus humain n’est-il pas d’écrire sans retenue, sans complexes et, pourquoi pas, avec un tiret cadratin — bien placé ?

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Article rédigé par
Sofian Nouira
Sofian Nouira
Journaliste
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