[Rentrée littéraire 2025] En 2012, la mère de l’auteur est percutée par une moto cross, en plein centre ville de Lyon. Elle succombe au choc. La collision est le récit du drame à travers les yeux d’un fils, mais aussi d’un journaliste. Le roman est en lice pour le prix du Roman Fnac 2025.
Nous sommes en 2022. Un candidat à la présidentielle donne à meeting à Cannes. Dans le livre, on ne dira pas qui il est, mais disons simplement qu’il est question d’extrême droite. À ce moment-là, Paul Gasnier est journaliste politique (il l’est toujours). Il couvre la manifestation. Le candidat entame son laïus et, très vite, son discours se veut plus radical. Des thèmes forts commencent à être évoqués, plébiscités par la foule. Ces thèmes, ce sont ceux qui touchent Paul Gasnier au plus profond de sa chair. Ces thèmes catalysent sensiblement tout ce qui fait le cœur de La collision.
« Depuis plusieurs semaines, ses discours dégomment la hiérarchie du décibel, et à chaque provocation succèdent les sondages et les ralliements, comme si la France était enfin mûre pour écouter ce qu’il avait à dire sur l’ensauvagement du pays. »
Paul GasnierLa collision
Il y a des événements qui changent une vie. Certains sont heureux, d’autres sont des tragédies. L’événement qui a touché la mère de Paul Gasnier se classe dans la seconde catégorie. Le 6 juin 2012, à Lyon, cette dernière est tuée par un jeune motard. Un délinquant, récidiviste, en lien avec le trafic de drogue. Mais pour l’instant, ce qui nous intéresse, c’est de savoir ce que le jeune homme faisait en roue arrière avec son véhicule alors que la victime était à vélo. Une collision. On tient déjà le titre.
« Ce livre est le récit de cette collision, qui n’est ni un accident ni un meurtre. Une histoire française du début du XXIe siècle, où deux destins parallèles voués à s’ignorer se sont percutés, dans un pays éclaté et malade. »
Paul GasnierLa collision
Au moment du meeting politique qu’il couvre, Paul Gasnier ressent moins la ferveur de l’audience que la sensation que, pour cette dernière, tout est cohérent. Que les éléments de langage s’imbriquent, construisent un équilibre de pensée. Qu’on lui retire son accident. Comme si le politique s’en emparait. Il n’en fallait pas plus.

Un premier roman percutant
Car La collision est un récit. C’est important. À l’époque des faits, cette époque où l’accident survient, l’auteur a 20 ans. Mais aujourd’hui, il ne raconte pas l’événement comme on raconte un simple accident. Il raconte comment on enquête, comment on cherche à comprendre ce que la trajectoire de ces deux (désormais) personnages peuvent dire de notre société. La victime, le meurtrier, résumons cela ainsi. C’est là que le livre prend une toute autre portée. Plus politique, au fond. Le motard et la mère incarnent deux générations, deux visions, deux faces, deux perspectives de la France. Comme deux mondes qui se côtoient, mais qui ne savent rien l’un de l’autre, du moins pas grand-chose. Et pourtant, ils ne se seront jamais autant entrechoqués que ce jour de 2012. C’est à la lumière de cela que Paul Gasnier les fait dialoguer et part à la rencontre de l’histoire du motard.
Pour ce faire, il s’est plongé dans le dossier d’instruction de l’affaire, afin d’écrire, de retranscrire, d’analyser. Un dossier où figurent des interrogatoires (notamment ceux des témoins de l’accident), mais aussi des documents sur lesquels il a pu s’appuyer, afin de déplier l’affaire.
« La tragédie est racontée avec une méticuleuse précision administrative. »
Paul GasnierLa collision
Alors, comment, lorsqu’on a la place du fils, tenter de comprendre ? En analysant, en partant à la rencontre des différents acteurs de l’événement, en décortiquant chaque élément de la collision. On l’a dit, Paul Gasnier est journaliste politique. Il ne semble donc pas hors de propos qu’il parvienne parfaitement à nous donner quelques clés de lecture sur ce que cet accident dit de nous, aujourd’hui, en France. On réalise très vite (dès les premières pages, en fait) que l’extrême droite tente souvent de tourner ce type d’événement (parfois médiatisé) en quelque chose de clivant. Une « récupération », qui garantit que l’Hexagone se divise, progressivement. Mais sûrement.
« Et cette campagne a semé en moi une pensée qui vire presque à l’obsession : la mort de ma mère illustre parfaitement ce que le discours d’extrême droite dénonce. »
Paul GasnierLa collision
Les Lyonnaises et les Lyonnais trouveront un historique assez captivant de la manière dont le quartier où a eu lieu la collision (les pentes de la Croix-Rousse) a évolué. Car c’est aussi le récit d’un lieu. Un lieu qui dit également des choses d’une forme de délinquance et qui a été durablement marqué par l’accident, à en croire certains témoignages.
Dans La collision, il y a plusieurs personnages, plusieurs points de vue (des magistrats, la famille du motard, notamment sa sœur). On aurait pu imaginer une enquête en bonne et due forme, puisque l’auteur est journaliste. Toutefois, le format littéraire s’y prête, car s’il s’agit d’une forme d’enquête, il s’agit d’abord de celle d’un fils, et le sujet est sa mère. C’est la raison pour laquelle Paul Gasnier livre également ses impressions, ses sentiments, qui n’ont pas toujours été les mêmes au fil des années. Car, lorsqu’on réfléchit, lorsqu’on pense, les choses ne sont pas figées dans le marbre, malgré le deuil. Aujourd’hui, il semblerait qu’une certaine idée du pardon puisse être touchée du doigt. Comme une promesse renouvelée que tout restera mouvant.
« Je cuvais une colère qui transformait mon deuil en aigreur, et la figure du motard me narguait à chaque coin de rue. »
Paul GasnierLa collision
La collision, Paul Gasnier, Éditions Gallimard, en librairie le 21 août 2025, 176 pages, 19€.