Critique

Eddington avec Joaquin Phoenix : cynisme manqué

16 juillet 2025
Par Lisa Muratore
Joaquin Phoenix dans “Eddington”, en salles le 16 juillet 2025.
Joaquin Phoenix dans “Eddington”, en salles le 16 juillet 2025. ©Metropolitan FilmExport

Avec Eddington, Ari Aster signe un western sur les angoisses américaines en pleine crise du Covid. Attendu ce 16 juillet dans les salles obscures et présenté il y a quelques mois au Festival de Cannes, le film a largement divisé la Croisette et l’on comprend pourquoi.

Il avait tout de l’événement : une montée des marches impressionnante – avec Joaquin Phoenix, Emma Stone, Pedro Pascal et Austin Butler – et la reconnaissance d’Ari Aster en tant que cinéaste qui compte, sélectionné pour la première fois en compétition officielle au Festival de Cannes. Pourtant, Eddington a largement divisé les habitués de la Croisette. « Interminable et navrant western de carnaval » selon Le Figaro, « unique en son genre » pour Première : nul doute le quatrième long-métrage du cinéaste américain n’est pas fait pour plaire à tout le monde.

Nous voici à Eddington, une bourgade du Nouveau-Mexique bousculée par la crise du Covid et les élections municipales qui opposent son shérif (Joaquin Phoenix) au maire sortant (Pedro Pascal). Si l’un est plutôt libertaire, l’autre entend faire appliquer à la lettre les gestes barrières. Paranoïa cynique, jeux de pouvoir et bataille d’égos… Voici les ingrédients nécessaires pour qu’Ari Aster allume la mèche de ce western décapant. À l’angoisse sanitaire vont s’ajouter les troubles liés au mouvement Black Lives Matter et à la mort de George Floyd. Alors que le monde est de plus en plus divisé, la paisible Eddington va elle aussi sombrer dans le chaos.

Joaquin Phoenix et Pedro Pascal dans Eddington.©Metropolitan FilmExport

La promesse était belle et le retour d’Ari Aster sur grand écran avec son casting cinq étoiles avait tout pour séduire. Toutefois, la démonstration se révèle poussive. Les fulgurances d’Hérédité (2018) et de Midsommar (2019) ont été remplacées par l’échec de la satire. En voulant offrir une vision cynique de l’Amérique contemporaine, le réalisateur s’embourbe. Le propos est loin d’être novateur et le schéma final est paresseux.

Malgré une première partie intéressante, portée par un shérif paumé autant dans son mariage qu’au poste de police, Eddington tombe rapidement dans le piège de la diatribe excessive sur une Amérique au bord du gouffre. Un exercice que l’on avait déjà pu voir du côté de la comédie avec Don’t Look Up : déni cosmique (2021) d’Adam McKay sur Netflix ou, dans un genre beaucoup plus apocalyptique, chez Alex Garland avec son Civil War (2024).

Emma Stone dans Eddington.©Metropolitan FilmExport

La démonstration d’Ari Aster, au lieu de nous offrir une proposition aussi étouffante qu’hallucinante, propre au style du cinéaste, se noie sous les clichés qu’implique le sujet et ne parvient jamais à atteindre le cynisme qu’il tente de mettre en scène. En témoignent les dialogues irritants sur le port du masque et les théories conspirationnistes dégainées à gogo, rappelant à nos mémoires la folie de 2020.

Car c’est bien cela que le réalisateur tente de disséquer en prenant pour toile de fond le Covid. En prenant l’exemple d’Eddington, c’est toute la société américaine qu’il étudie, dans une cacophonie ambiante bienvenue, mais trop éparse pour faire de la nouvelle création d’Ari Aster le choc que l’on attendait.

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Malgré quelques fulgurances satiriques, le metteur en scène ne parvient jamais à développer un propos clair, préférant voir ses personnages sombrer dans la violence à outrance, l’égoïsme, voire une forme de mégalomanie, comme s’il n’y avait plus une seule lueur d’espoir pour le pays de l’Oncle Sam. Pourtant, tout commençait plutôt bien grâce au point de vue du shérif incarné par Joaquin Phoenix, seul contre tous.

L’acteur américain, après une interprétation poussive dans Joker : folie à deux (2024) ou complètement déconnectée dans Napoléon (2023), revient à un registre plus subtil face à un Pedro Pascal convaincant.

Pedro Pascal dans Eddington. ©Metropolitan FilmExport

Le personnage incarné par ce dernier aurait mérité un traitement plus complet, notamment dans le cadre du western. L’arc narratif d’Emma Stone – qui prête ses traits à l’épouse dépressive de Joaquin Phoenix – ne sert absolument pas le film. Face à un Austin Butler terrifiant, elle personnifie l’angoisse conspirationniste et sectaire de l’Amérique profonde ; un thème quasi obligatoire quand on parle du Covid, mais qui est rapidement éjecté du long-métrage à partir du moment où celui-ci tombe dans une violence excessive.

Problème : là où elle aurait pu être salutaire, Ari Aster maîtrisant à la perfection les moments de tension, tout comme les visions effrayantes, elle n’apparaît finalement que trop grasse, vulgaire, voir extrême sans réelle justification.

La bande-annonce d’Eddington.

À ce titre, Eddington se présente comme un film fourre-tout dans lequel Ari Aster tente d’aborder les angoisses contemporaines d’un pays en souffrance, qui ne s’écoute plus. Seulement, la mise en scène peu inventive – malgré le cadre solaire du Nouveau-Mexique – et les arcs narratifs de chaque protagoniste peinent à offrir le western angoissant auquel on s’attendait.

Après Beau is Afraid – sorte de Joaquin Phoenix show hallucinogène –, le cinéaste dirige une nouvelle fois l’acteur en faisant graviter autour de lui une galerie de personnages peu reluisante et sous-exploitée. Un constat d’échec pour celui qu’on l’on a baptisé le génie de l’horreur moderne. Eddington n’est de toute évidence pas fait pour tout le monde.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste