
Série intelligente et sensible, Le sens des choses nous invite dans le quotidien de l’une des rares femmes rabbins de France. À quelques jours de sa diffusion en avant-première mondiale au festival Series Mania, les acteurs Elsa Guedj et Manu Payet se sont prêtés au jeu de l’interview.
Commençons par une petite remise en contexte : quelle histoire se cache derrière Le sens des choses ?
Elsa Guedj : La série suit l’histoire de Léa, une jeune femme qui commence son activité de rabbin. Au fil des épisodes, elle est sollicitée par des personnes qui traversent des moments décisifs de leur vie et elle va les aider à régler leurs problèmes et à surmonter ces épreuves.
Manu Payet : Mon personnage, Ilan, fait partie de ces personnes qui sollicitent son aide à un moment charnière de son existence. Il fallait que leurs chemins se croisent pour qu’ils puissent s’entraider, démêler une situation complexe et avancer.
Qu’est-ce qui vous a motivés à rejoindre cette aventure ?
E. G. : Le scénario. Il y a une très grande qualité d’écriture et j’ai adoré cette histoire. Je ne l’avais vue dans aucune autre série.
M. P. : J’ai aussi été très touché par le texte, sa douceur, sa légèreté et son humour. Ces moments de rire m’ont totalement séduit.
Avez-vous, consciemment ou inconsciemment, abordé ce tournage d’une manière différente en raison de son lien avec la religion ?
E. G. : Ça me semblait essentiel de me plonger dans cet univers en amont du tournage. Je voulais éviter de faire semblant, avoir une vraie compréhension de ce dont je parlais, mais aussi m’y familiariser. De l’incorporer, d’une certaine manière. D’autant plus que, sur le plateau, nous tournions avant tout des scènes ancrées dans la vie quotidienne, qui ne traitaient pas forcément de religion de manière explicite.
Il me semblait donc important d’avoir en moi une forme de spiritualité pour apporter une certaine verticalité au jeu. Ça me permettait d’interpréter ces scènes de manière authentique, sans parler directement de religion, mais en laissant transparaître quelque chose de plus profond.

M. P. : Au début, je me suis demandé si je devais aborder ce rôle d’une manière différente. Puis, très vite, j’ai réalisé à quel point j’étais bien entouré, et c’est aussi ce qui m’a poussé à me lancer. J’aurais pu hésiter, voire renoncer, mais l’environnement était si rassurant que j’y suis allé. En réalité, mon personnage n’existe presque qu’à travers le regard d’Elsa. Et elle s’était tellement préparée en amont que je me suis dit : “Je suis safe”.
Finalement, c’est elle qui donne vie à Ilan à l’écran. C’est Léa qui le façonne, qui le transforme dès le début de la série. Grâce à elle, il devient pleinement lui-même. Ça, c’est ce qu’il se passait devant la caméra. Mais derrière, il y avait aussi Keren Ben Rafael à la réalisation et Noé Debré au texte. Ils m’ont donné la confiance nécessaire pour me lancer pleinement dans cette aventure.
J’ai effectivement été frappée par votre gestuelle, Elsa. Comment avez-vous préparé votre rôle, et plus particulièrement ces parties rituelles ?
E. G. : J’ai travaillé avec une sorte de coach avec qui j’ai répété toutes ces scènes. J’ai aussi fréquenté une synagogue avec beaucoup d’assiduité durant les mois qui ont précédé le tournage.
Plus qu’une série sur la religion, Le sens des choses évoque des questions existentielles. Avez-vous cogité sur des sujets profonds, pendant ou après le tournage ?
M. P. : C’est vrai que ça a dû te travailler…
E. G. : Je dois avouer que ça m’a pas mal fait réfléchir. Mais c’est le propre de la série : elle pose beaucoup de questions et apporte peu de réponses.
M. P. : J’imagine qu’on ne ressort pas indemne de ce genre de tournage.

E. G. : En fait, la série m’a beaucoup interrogée sur l’enjeu central de mon personnage, qui est “trouver sa place”. En tant que femme dans le monde religieux, en tant que jeune femme dans une société où l’on ne cesse de lui dire quoi faire, comment être. Mais aussi, plus largement, en tant que personne sur cette planète : comment trouver sa vocation, sa manière d’échanger avec les autres, de s’affirmer.
Ces questions m’ont beaucoup intéressée, y compris dans ma propre vie. Et au-delà de mon personnage, Le sens des choses aborde des thèmes universels : comment s’émanciper de sa famille tout en restant lié à elle, comment surmonter un deuil, un échec… ? Ce sont des sujets fondamentaux et j’imagine que tout le monde, d’une manière ou d’une autre, se pose ces questions.
Elsa, elle, choisit de devenir rabbine malgré l’incompréhension et le refus de son père. Avez-vous déjà pris des chemins que personne ne comprenait, mais qui vous semblaient essentiels ?
M. P. : J’ai toujours cru que j’étais mainstream. J’étais persuadé que mon délire était celui de tout le monde. Quand tu grandis en étant celui qui divertit les autres – d’abord en classe, puis en colo, puis ailleurs – et que tu poursuis ce chemin en allant au Cours Florent, tu t’inscris dans une sorte de parcours, un rêve encore flou. Je savais juste que j’aimais divertir, que c’était ce pour quoi j’avais l’air d’être fait.

Je faisais rire mes camarades, puis mes collègues, j’ai même bossé au Trésor public – très peu de temps [Rires] – et je pensais vraiment être dans la norme. Et puis un jour, j’ai compris qu’il y avait d’autres délires. Que ma manière de faire rire n’était pas universelle. Et, pire encore, qu’on pouvait ne pas du tout aimer mon délire ! [Rires] J’ai réfléchi à tout ça, j’ai intégré le fait que je n’étais pas mainstream, et je me suis dit que j’allais faire ce que j’aime et transformer cette passion en métier. Donc pour répondre à votre question : oui, j’ai cette impression tous les jours.
E. G. : Je pense que l’un des aspects les plus difficiles de la vie, c’est de prendre des décisions qui vont à l’encontre de son entourage ou de l’image que l’on se fait de soi-même. Ce n’est pas simple de s’affirmer dans une direction qui bouscule ce que l’on croyait être. On peine déjà à savoir ce que l’on veut vraiment, à être pleinement connecté à son désir profond. Et ça l’est encore plus quand il sort des sentiers battus ou qu’il ne correspond pas aux attentes ou aux normes établies.
M. P. : Dès que tu fais les choses dans l’idée que ça plaise à tout le monde, ce n’est pas bon. Quand tu écris un spectacle, tu te dis que tu dois faire des blagues qui parlent à tous les spectateurs. En réalité, il faut faire tout l’inverse. Tu dois aller chercher ce qui est le plus personnel, amener ton propre délire aux gens, au lieu d’essayer de capter celui des personnes présentes ce soir-là. Mais le temps de comprendre ça, tu as 50 piges ! [Rires]
Le sens des choses, série en huit épisodes diffusée le 28 mars sur Max.