La journaliste Liz Pelly publie dans Harper’s Magazine les bonnes feuilles de son livre à paraître, Mood Machine, dans lequel elle révèle les méthodes louches de Spotify pour tirer les revenus des artistes vers le bas.
0,00021 centime par écoute. C’est, en moyenne, ce que reverse Spotify aux artistes utilisant sa plateforme pour diffuser leur musique. Une rémunération qui ne permet qu’à une poignée de gros noms de se dégager un revenu décent et qui, d’après Liz Pelly, ne serait pas que le résultat du petit jeu de l’offre et de la demande. D’après la journaliste de Harper’s Magazine, Spotify utilise de faux artistes pour inonder ses playlists afin de réduire la part de revenus qu’il doit aux véritables musiciens.
Des artistes fantômes pour tirer les prix vers le bas
Vous l’ignorez peut-être, mais les playlists thématiques de Spotify sont issues d’une curation humaine, réalisée par les équipes du géant suédois. Pour les artistes, c’est en quelque sorte un Graal. Se retrouver dans l’une de ses playlists, comme celles dédiées à la musique lo-fi ou à la musique relaxante, c’est s’assurer un flux constant de nouvelles écoutes et donc des revenus potentiellement importants. Pourtant, beaucoup des artistes présents dans ces playlists… n’existeraient pas, assure Liz Pelly.
Spotify, pour réduire la part de revenus qu’il doit aux (véritables) artistes, aurait noué un partenariat avec une douzaine d’entreprises spécialisées dans la composition de musique dite « stock », utilisée notamment dans la publicité ou par des vidéastes à la recherche de morceaux libres de droits. Des chansons achetées en gros, et ensuite affiliées par Spotify à des artistes créés de toutes pièces, qui voient ainsi leur popularité artificiellement gonflée par les écoutes générées par les personnes qui écoutent en boucle les playlists où ils sont en vedette.
La journaliste prend l’exemple d’Ekfat, un artiste présent sur la plateforme depuis 2019 et dont le titre le plus écouté totalise environ 4,5 millions de streams. En réalité, c’est la société de production Firefly Entertainment qui serait derrière ce nom d’emprunt, et la biographie de l’artiste, le dépeignant comme « un beatmaker islandais […] membre du légendaire Smkkleysa Lo-Fi Rockers depuis 2017 », aurait été inventée, révèle Linus Larsson, rédacteur en chef du quotidien suédois Dagens Nyheter. « C’est probablement l’exemple [de faux artiste] le plus absurde, explique le journaliste à Liz Pelly. Ils ont vraiment essayé d’en faire l’un des musiciens les plus cool qui existent ». Un « artiste » très en vogue sur Spotify… qui n’aurait posté que trois images et n’aurait que 62 followers sur sa page Instagram. Drôle de chiffres pour le membre d’un « groupe légendaire ».
Un programme nocif pour les artistes
Derrière ces manigances se cache un véritable programme, appelé en interne PCF, pour Perfect Content Fit. Une pratique qui, bien que cachée aux yeux du public, semble donc parfaitement assumée en interne, rapporte la journaliste de Harper’s.
Pourtant, le PCF est l’arbre qui cache la forêt d’un système qui, malgré les apparences, n’est pas conçu à l’avantage des artistes, mais uniquement pour assurer à Spotify un maximum de revenus et une optimisation totale de ses coûts. Comment les artistes peuvent-ils entrer en compétition avec de véritables fabriques à musique qui accaparent le revenu qui devrait leur être dû ?
Les récentes prises de position de Spotify, et en particulier de son PDG Daniel Ek, concernant l’intelligence artificielle ne donnent pas matière à se rassurer quant à l’avenir. Aujourd’hui, Spotify fait encore appel à des sociétés de production pour acheter de la musique à bas prix. Un intermédiaire qui pourra éventuellement sauter le jour où l’intelligence artificielle sera suffisamment compétente pour produire de la musique seule.
Spotify est déjà gangrénée par de la musique générée par intelligence artificielle. Certains « artistes » peu scrupuleux vont même jusqu’à publier des morceaux générés par IA et indiquer à Spotify qu’ils ont été composés en featuring avec de véritables musiciens. La compositrice de musique de jeux vidéo Lena Raine (Celeste, Guild Wars 2) est l’une des innombrables victimes de cette pratique pour laquelle la plateforme ne lève pas un pouce [le journaliste auteur de ces lignes a listé un certain nombre de ces faux artistes dans cet article, ndlr].