Alors qu’elle vient d’être couronnée, il y a quelques jours, du Prix du roman Fnac, on vous présente celle qui pourrait bien tenir les rênes du roman français dans les années à venir.
Le Prix des libraires en 2022 pour Blizzard, le Prix du roman Fnac cette année pour Les Âmes féroces. Seulement deux romans publiés et déjà deux prix majeurs. Pas des prix de critiques mais des prix des libraires, des prix de lecteurs qui symbolisent un engouement du public et l’avènement d’une communauté de fidèles. Depuis son apparition sur la scène littéraire française, Marie Vingtras a noué un lien particulier avec celles et ceux qui la lisent, au premier rang desquels les libraires, les plus fervents défenseurs de son œuvre, véritables catalyseurs de popularité.
À l’été 2021, alors que Blizzard, son premier roman, n’était pas encore sorti, ils ont été les premiers à manifester leur enthousiasme, à créer l’élan qui a porté le livre jusqu’à des hauteurs de vente impressionnantes, plus de 200000 exemplaires. Cette année, l’histoire se répète puisque c’est par le bouche-à-oreille, avant même les retours presse, que Les Âmes féroces a constitué sa notoriété. Le signe d’une écrivaine à part dont on vous révèle les petits secrets et l’univers singulier.
Romancière sous couverture
Avant toute chose, sachez que Marie Vingtras n’existe pas. N’y voyez pas là une incroyable histoire de fantôme ou d’étranges hallucinations, mais une simple affaire de pseudonyme – comme tant d’autres autrices et auteurs avant elle, héritiers d’une tradition littéraire séculaire, de George Sand alias Amantine Aurore Lucile Dupin à Émile Ajar alias Romain Gary.
Ce nom d’emprunt, elle l’a puisé chez Jules Vallès et son inoubliable Jacques Vingtras, héros de la trilogie romanesque emblématique de la IIIe République, L’Enfant (1878), Le Bachelier (1881) et L’Insurgé (1886). Mais elle l’emprunte surtout à une héroïne méconnue : la journaliste et figure féministe Séverine (1855-1929), première femme à la tête d’un journal en France, Le Cri du peuple, qui utilisait souvent comme nom de plume Arthur Vingtras.
Est-ce en partie à cause de son métier d’avocate qu’elle a tenu à préserver son anonymat ? Au départ, peut-être. Sans prévoir, en revanche, les joies de la notoriété et le don qu’elle a de vous démasquer. Spécialisée dans le droit du travail, Marie Vingtras continue encore aujourd’hui son métier à plein temps en plus de l’écriture. Un pied dans le réel, un pied dans la fiction : elle sacralise cet équilibre sain qui lui permet d’écrire des histoires de vie sans s’enfermer dans une tour d’Ivoire. Mais elle concède aujourd’hui que le rythme est de plus en plus dur à tenir et que pour réaliser pleinement ses rêves d’écriture, il faudra peut-être consentir à un engagement total, une vie assise à sa table d’écrivain.
Le rêve américain
Elle n’aurait même pas eu besoin de nous le dire tant cela transpire de ses romans, tous deux situés aux États-Unis d’ailleurs, mais quand on lui demande ses influences et la littérature qui l’inspire, Marie Vingtras n’en a que pour les auteurs anglo-saxons.
L’Australien Richard Flannagan, auteur de La Route étroite vers le Nord lointain, les monstres sacrés des lettres américaines Russel Banks et Joyce Carol Oates, mais aussi Joyce Maynard dont le roman Et devant moi, le monde a eu une influence décisive sur son écriture.
Mais, en grande passionné des États-Unis, la terre de fiction suprême selon elle, Marie Vingtras est aussi une cinéphile et puise son inspiration dans les films et les séries. Elle racontait il y a peu au magazine Point de vue que, pour façonner la personnalité de Bess, l’héroïne de son premier roman, Blizzard, elle s’était inspirée de la partition magistrale d’Amy Adams dans le film Premier Contact de Denis Villeneuve. Une palette de références large, avec un sérieux tropisme américain, qui offre certaines clés de lecture pour entrer dans son œuvre.
La déflagration : Blizzard
Au cœur de l’Alaska sauvage et brutal, un enfant disparaît, happé dans un épais blizzard. Rongée par la culpabilité, Bess, celle qui, l’espace d’une seconde, lui a lâché la main, part à sa recherche, jetant toutes ses forces dans la bataille. Bientôt, elle est suivie dans cette effroyable course contre la montre par les derniers habitants de cette contrée hostile. À tour de rôle, dans des monologues habités, ces femmes et ces hommes balayés par les vents dévoilent alors les drames et les souffrances qui les ont conduits hors du monde.
Nature writing noir et inquiétant à la Ron Rash, thriller enneigé qui rappelle le Fargo des frères Cohen, western crépusculaire tarantinesque, ce premier roman est la parfaite illustration d’une écrivaine biberonnée à la culture américaine. Mais Marie Vingtras digère ses références pour les modeler dans un récit unique en son genre, bourré de tensions, mais qui se lit avant tout comme une plongée dans la psyché humaine et dans les affres de notre si fragile condition.
La confirmation : Les Âmes féroces
On s’en moque parfois, on les sous-estime souvent, mais les rituels d’écriture d’un romancier ou d’une romancière lui permettent d’éviter de nombreux faux pas. Dans le cas de Marie Vingtras, c’est une méthode bien huilée qui l’a sauvée d’une douloureuse épreuve du second roman alors que son premier livre emportait tout sur son passage. Depuis qu’elle écrit, elle a pris l’habitude de commencer une nouvelle histoire aussitôt la précédente terminée, sans tergiverser. L’essentiel des Âmes féroces était donc déjà rédigé au moment où le succès de Blizzard a éclaté, faisant soudainement grimper la pression.
On prend les mêmes et on recommence ? Bienvenus dans un nouveau roman choral américain. L’histoire se déroule cette fois dans la charmante bourgade de Mercy. Un patelin et une communauté paisibles dont le calme va être bouleversé par la découverte du corps d’une adolescente. Sur un an, quatre saisons, quatre personnages différents nous racontent les événements avec des perspectives contraires, alimentés par leurs démons intérieurs.
Marie Vingtras s’amuse des archétypes – la sherif, la miss, les ados rebelles ou encore le prof charismatique – pour bâtir un faux polar où la résolution importe finalement peu et une tragicomédie touchante où la détresse humaine est au cœur de chaque scène. La confirmation d’un grand talent pour une écrivaine devenue sur le tard l’un des visages du roman français contemporain.