Cent ans après sa mort, l’écrivain austro-hongrois occupe plus que jamais le devant de la scène littéraire. Il est même devenu un improbable tube de l’été pour les lecteurs de la jeune génération qui y voient le catalyseur de leurs angoisses existentielles.
Franz Kafka en star incontestée des réseaux sociaux, on ne l’avait pas vu venir. Depuis plusieurs semaines, le géant de la littérature, disparu il y a 100 ans, le 3 juin 1924, déchaîne les passions sur TikTok au point de devenir l’un des hashtags les plus viraux de la plateforme. L’auteur sombre, inquiétant, révolté, est devenu l’emblème d’une jeune génération angoissée, qui doute de l’avenir.
Pour commémorer le centenaire de sa mort, Folio a mené dans le même temps une entreprise de réédition massive de ses œuvres emblématiques. L’occasion rêvée de passer un été avec Kafka, de se replonger dans ses romans consacrés au panthéon littéraire, ainsi que dans certains de ses textes moins connus, mais tout aussi foudroyants.
Le plus grand romancier du XXe siècle
Republié aujourd’hui en version bilingue, La Métamorphose, monument de malaise, fut le premier ouvrage de Kafka à être traduit en français, par Alexandre Vialatte, en 1928. Il raconte la transformation soudaine d’un homme en cafard. Plus qu’un simple conte fantastique, ce court récit écrit en 1912 est une charge impitoyable contre le règne de l’argent, l’aliénation au travail et la déshumanisation que nous inflige une société normalisée à l’extrême. Le portrait de notre époque, en somme.
Autre chef-d’œuvre, Le Procès bascule lui aussi du côté de la fable, mais préfère l’absurde au fantastique. Un jour, K., double de papier de l’auteur, est arrêté chez lui. Accusé d’une faute qu’il ignore par des juges qu’il ne voit jamais et conformément à des lois qui lui échappent et que personne ne peut lui enseigner, il va s’enfoncer dans un dédale d’incompréhensions et de doutes en espérant démêler cette affaire. Lucide, désabusé, ce héros inoubliable voit le ciel s’abattre sur sa tête et ne peut rien pour enrayer un système incontrôlable et monstrueux. La bureaucratie métamorphosée en machine à broyer les êtres.
Enfin, Le Château est le troisième pan de ce triptyque romanesque consacré. Il poursuit le petit théâtre de l’absurde entamé avec Le Procès. K., toujours lui, cherche à rencontrer son employeur afin de prendre ses fonctions. Il est convoqué dans un château pour accomplir sa mission. Mais tout se dresse contre lui, l’hostilité des institutions, le dédale que représente cette grande bâtisse de pierre, chaque étape est une souffrance, chaque échec le ramène au néant. Une nouvelle errance tragique d’un homme pris au piège des rouages de l’administration.
Moins connu, Amerika ou Le Disparu vaut aussi son pesant d’or. Un roman qui raconte l’arrivée en Amérique d’un adolescent envoyé à New York parce qu’il a couché avec la bonne, qui est tombée enceinte. Conte initiatique aux accents très chapliniens, l’ouvrage détonne !
Découvrir un autre Kafka
Mais Kafka n’est pas qu’un romancier et d’autres textes forcent l’admiration. Lettre au père est un monument de la littérature contemporaine. Au centre de l’œuvre de l’écrivain, ce recueil épistolaire laisse entrevoir une autre facette du géant. Franz Kafka a vécu toute son enfance dans la crainte de son père, un homme autoritaire et malveillant. Des années plus tard, grâce à l’écriture, il conjure le traumatisme en réglant ses comptes avec une poésie empreinte de violence et de douleur. Un courrier qui n’est jamais parvenu à son destinataire, mais une preuve sublime de ce que peut la littérature.
Autre chef-d’œuvre de l’intime, le Journal de Kafka est un modèle du genre. Un livre sombre, torturé, mais qui questionne comme rarement la paternité, la judéité, la guerre, la maladie et surtout la condition du romancier.
Pour ceux enfin qui voudraient aller plus loin, signalons la formidable biographie en trois tomes de Reiner Stach, publiés aux éditions Fayard. Le Temps des décisions est une passionnante somme universitaire qui se dévore comme un roman et qui offre une plongée saisissante dans la tête d’un géant.
