Entretien

Les livres de Carole Martinez : “La Vie devant soi m’a arrachée à ma peine d’amour”

03 août 2024
Par Lisa Muratore
Carole Martinez.
Carole Martinez. ©Francesca Mantovani

Chaque mois, un·e auteur·rice partage avec L’Éclaireur la dizaine de livres qui l’ont particulièrement touché·e, pour différentes raisons, à différentes époques de sa vie. Ce mois-ci, c’est l’écrivaine Carole Martinez, dont le nouveau roman, Dors ton sommeil de brute est attendu le 15 août, qui se prête au jeu.

Quel est le livre qui vous a le plus marquée dans votre vie ?

Le Bruit et la Fureur de William Faulkner. Un texte en quatre temps, à quatre voix, que Faulkner aurait d’abord rêvé multicolore pour aider le lecteur à s’y retrouver dans une temporalité disloquée. Quatre voix : celle du frère idiot, l’éternel enfant, Benjy ; puis celle de Quentin, l’étudiant tourmenté, son aîné, au jour de son suicide ; celle du troisième frère ensuite, Jason, dévoré par la colère ; et enfin une voix impersonnelle suivant Dilsey, leur vieille nourrice.

Tous sont obsédés par leur sœur Caddy, la grande muette du roman, qui s’était hissée dans l’arbre pour percer le mystère de la mort en assistant à la veillée funèbre de sa grand-mère, petite Ève à la culotte tachée de boue, splendide souillure aux yeux de ses frères fascinés. Un roman furieux et poétique qui m’a donné envie d’écrire.

Celui que vous aimez offrir ? 

En ce moment, il s’agit de Guerre et Pluie de Vélibor Colic, car il a une poésie crue et sublime, il transforme l’horreur et le minable en alcool pur et nous enivre. Il a une grâce si particulière et un humour grinçant. Il s’attaque au passé, à sa guerre, avec un regard singulier où la misère, la saleté, la lâcheté sont toutes les paillettes pisseuses de l’humanité. Des étoiles, des cachets, des bombes, le ciel se décharge d’un bric-à-brac de tristesse et, souvent, sa plume nous chatouille tant qu’on rit là où l’on devrait pleurer. Ceci étant dit, en général, j’offre Un de Baumugnes de Jean Giono, parce que ce roman “m’a fait l’effet d’un coup de pierre”, comme l’harmonica d’Albin.

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Celui qui parle le mieux d’amour ? 

L’Amant de Lady Chatterley de D.H. Lawrence, pour son extraordinaire sensualité et son intelligence. Ce livre insuffle désir, liberté et plaisir. Rien que d’en parler, l’envie me prend de le relire.

Bande-annonce de la dernière adaptation de L’Amant de Lady Chatterley.

Celui qui vous fait pleurer ? 

Beloved de Toni Morrison. D’une poésie scintillante, le roman nous entraîne dans la vie de Sethe, qui a fui l’horreur de l’esclavage et que le fantôme de son bébé, la petite Beloved, hante. Il s’agit d’un hymne à l’amour où les ombres les plus épaisses, les douleurs les plus sourdes deviennent lumière par la force de l’écriture. Une grâce !

Celui qui vous fait rougir ?  

Je ne rougis jamais.

Celui qui vous dérange ? 

La Route de Cormac McCarthy, un roman post-apocalyptique. Que s’est-il passé ? Que va-t-il arriver à cet homme et à son fils qui avancent avec leur caddie sur une route déserte, dans un monde détruit, sans soleil et sans vie ? Nous sommes avec eux, coincés entre passé et futur, dans le présent de la survie. Un magnifique texte tissé autour de l’amour d’un père.

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Celui qui vous obsède ? 

Dans Winter is Coming, Pierre Jourde écrit son impuissance face à la mort de son fils Gabriel. Aucune résurrection n’est possible sous le texte, le livre est un tombeau où le père dépose les armes. Ce père follement aimant qui se revoit serrer maladroitement les poings face au destin, s’encolérer en vain, s’entêter pour que son fils marche plus loin, vive encore, musique plus longtemps. Et cette citation : “À qui demander un peu de temps, encore un peu de temps ?”

Celui qui vous fait le plus rire ?

J’ai volé mon premier La Vie devant soi à 18 ans chez les parents de mon amoureux, le soir où il m’a plaquée. Tout le monde était couché. Je pleurais seule au beau milieu de leur salon. Il me fallait un texte pour passer la nuit en attendant le premier métro. La Vie devant soi : un titre idéal pour une petite pisseuse persuadée que le monde venait de s’écrouler.

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Paris faisait silence. Ce roman et Momo m’ont arrachée à ma peine d’amour : j’ai ri aux larmes, j’ai pleuré. Même en miettes, mon cœur battait encore. Le soleil se levait. Le garçon qui m’avait blessée dormait à poings fermés. Mais moi, j’étais une éveillée et j’avais la vie devant moi.

Celui qui est idéal pour les vacances ?  

Mon mari, de Maud Ventura, follement déroutant et qui croustille. Le journal de cette épouse idéale, follement éprise de son mari et merveilleusement désaccordée. Une pépite de dinguerie et d’humour.

Celui que vous attendez le plus en cette rentrée littéraire ? 

J’ai très envie de lire les deuxièmes romans des primo-romancières que j’ai tant aimées ces trois dernières années. La Nuit de David, d’Abigail Assor, dont j’avais adoré le premier roman baptisé Aussi riche que le roi et ses deux héros si mal assortis. Il s’agit d’un conte cruel, savoureux, mais très réaliste. Il me tarde aussi de découvrir Les Âmes féroces de Marie Vingtras, qui m’avait emportée dans la folie blanche de son roman choral Blizzard, une tornade à quatre voix ; un roman diablement addictif.

Dors ton sommeil de brute, de Carole Martinez, aux éditions Gallimard, 400 p., le 15 août en librairie.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste