L’auteur de Thorgal, Largo Winch et XIII s’impose depuis 40 ans comme l’une des figures phares de la bande dessinée franco-belge. À l’occasion de la sortie d’un nouvel opus et du mois de la BD, L’Éclaireur a échangé avec Jean Van Hamme, dont la vie s’entremêle avec l’histoire du 9e art.
Lorsqu’il s’est lancé dans la bande dessinée, le nom des scénaristes apparaissait peu, ou pas, sur la couverture des albums. Aujourd’hui, Jean Van Hamme est l’un des auteurs des plus reconnus du métier. Les séries à succès telles que Thorgal, XIII et Largo Winch, qui se sont vendues à plus de 45 millions d’exemplaires, c’est lui qui les a imaginées. À 85 ans, il signe un nouveau tome de la série XIII Mystery. Pour L’Éclaireur, et à l’occasion du mois de la BD, l’écrivain fait le point sur ces années passées dans l’univers de la bande dessinée.
Quel chemin vous a mené à la pratique du scénario ?
C’est sur le tard que j’ai commencé à écrire des scénarios de bandes dessinées. Avant d’en faire mon métier, j’exerçais en tant qu’ingénieur commercial. Je voyageais beaucoup. C’était ça qui me plaisait, d’ailleurs. Un jour, on m’a proposé une promotion… Le reste de cette vie professionnelle m’a alors semblé d’un ennui tel que j’ai démissionné. Toutefois, j’avais déjà commencé quelques scénarios, dès 1968, notamment avec Paul Cuvelier pour ses séries Epoxy et Corentin. 1976 a été une année clé pour moi. C’est celle où j’ai démissionné et sorti mes premiers scénarios originaux. Là, tout a décollé, sans que je m’y attende.
Pourquoi la BD ? Quelle place tenait-elle dans votre vie avant que vous deveniez scénariste ?
Avant toute chose, il faut préciser qu’à cette époque, celle des années 1970, il y avait surtout des magazines, dans lesquels étaient publiés des feuilletons dessinés. Les albums sont arrivés plus tard. D’ailleurs, quand j’ai commencé la BD, le nom des scénaristes figurait rarement sur la couverture. Mais j’étais déjà un grand lecteur du Journal de Tintin. Plus tard, comme je parlais bien anglais, j’ai eu l’opportunité de traduire des strips américains pour le magazine Le Moustique. C’était un premier pas dans la bande dessinée. Puis, au fil des rencontres, je me suis rapproché de Greg, le rédacteur en chef du Journal de Tintin. La machine était lancée.
Vous publiez successivement Largo Winch, Thorgal et XIII, vos séries les plus emblématiques. Qu’est-ce qui vous a inspiré ces histoires ?
Lorsque j’y repense, c’est toujours un concours de circonstances : pour la série Largo Winch, Greg, qui souhaitait exporter la bande dessinée aux États-Unis, était à la recherche d’une intrigue à l’américaine qui raconterait la vie d’un jeune homme célibataire, riche, à qui tout réussi… en apparence. J’avais déjà écrit Largo Winch sous forme de romans. J’ai donc retravaillé cette intrigue en BD, en modifiant quelques éléments.
Mon expérience professionnelle m’a d’ailleurs été très utile afin d’imaginer un contexte politique et économique crédible. Puis, pour Thorgal, je travaillais avec le dessinateur polonais Grzegorz Rosiński dont j’aime beaucoup le dessin, car il ne ressemble à aucun autre. Du fait de sa nationalité, il n’était pas influencé par le style franco-belge. On a sorti Thorgal en 1977. À l’époque, la Pologne appartenait encore au bloc communiste et on voulait éviter une possible censure. Notre stratagème a été d’emprunter les légendes de la mythologie nordique, tout en inventant un nouvel univers.
En parallèle de vos séries originales, vous avez redonné vie à l’univers d’un autre grand nom : Edgar P. Jacobs, l’auteur de Blake et Mortimer. Cette année, vous avez publié La Flèche ardente, suite de Rayon U, son premier album. Quel lien entretenez-vous avec cet auteur ?
Je l’ai découvert enfant. Chez moi, il y avait des exemplaires de Bravo !, le magazine pour lequel travaillait Edgar P. Jacobs. C’est là que j’ai lu pour la première fois Rayon U. Il y a quelques années, l’album a été réédité chez Dargaud. Ce qui m’a frappé, lors de cette seconde lecture, c’est d’abord le côté kitsch de cette histoire [rires]. Mais ce qu’on ne comprend toujours pas, du moins moi, c’est à quoi sert ce fameux Rayon U à la fin de l’histoire… On ne pouvait pas laisser ça comme ça ! La Flèche ardente, c’est un gag pour m’amuser. L’écriture du scénario m’a demandé à peine un mois. Comme pour les Blake et Mortimer, j’ai toujours ressenti et pris beaucoup de plaisir.
Lorsque l’on reprend une série déjà existante, afin de poursuivre les aventures des personnages, faut-il rester le plus proche possible de l’original ou réinventer complètement ?
Le risque est de se laisser écraser par le poids de la responsabilité. Cela a été le cas de Ted Benoit, le premier dessinateur avec qui j’ai travaillé sur Blake et Mortimer. Cinq années ont séparé la sortie des deux tomes. Pour Benoit, le souci de bien faire était trop grand. Pour ma part, je n’avais aucun problème, j’adorais ça. Ma seule exigence : prendre grand soin de faire “du Jacobs”. C’était d’ailleurs le deal passé avec l’éditeur.
Vos personnages fétiches ont, eux aussi, été adoptés par d’autres. Que pensez-vous de ces reprises ?
Alors que je cherchais à faire “du Jacobs” sur Blake et Mortimer, les auteurs qui ont repris Thorgal, Largo Winch ou XIII ont pris grand soin de ne pas faire “du Van Hamme” ! Voilà pourquoi je n’ai pas trop de soucis ni trop de regard sur ce qui se fait maintenant. Les personnages restent les mêmes, mais les processus scénaristiques sont différents. Tout ce qui compte, c’est que le public soit encore là pour suivre leurs aventures.
Quel aspect de la pratique du scénario de BD vous semble le plus savoureux ?
Lorsqu’un dessinateur rend parfaitement ce que vous voulez dire. Lorsque j’écris un scénario, je ne l’écris pas pour l’éditeur, ni même pour les lecteurs. Je m’adresse au dessinateur et à lui seul !
Que vous inspire la bande dessinée actuelle ?
Cela faisait quelques années que je ne lisais plus grand-chose… Mais j’ai fait sa rencontre en étant jury d’un prix. J’ai reçu une centaine d’albums et j’ai alors constaté qu’il y avait très peu de scénarios réellement originaux. La tendance étant plutôt aux bandes dessinées qui racontent la vie d’un personnage historique ou bien des adaptations de romans. Pour un public jeune, ça peut être intéressant, mais je trouve que l’imagination manque de plus en plus à ces albums qui paraissent aujourd’hui. C’est aussi le phénomène du roman graphique qui veut ça. Ces ouvrages comptent plus de 200 pages, alors que les tomes de mes séries une cinquantaine à peine. Ce n’est plus la même manière de faire de la bande dessinée qu’il y a 30 ans.