Alors que la course au prix d’automne est terminée depuis bien longtemps, on n’a pas résisté à décerner à notre tour les lauriers d’une très belle année littéraire.
| La déflagration de l’année : Neige Sinno, Triste tigre
Un choc. Voilà comment on pourrait décrire l’impact qu’a eu Triste Tigre dans le paysage littéraire mais aussi dans la société tout entière. Sans fard, sans pathos, Neige Sinno fait le récit d’une enfance brisée. Elle raconte comment, de sept à quatorze ans, elle a été violée par un beau-père qui prétendait trop l’aimer. Confession glaçante qui dissèque les mécanismes de l’emprise en n’hésitant pas à se mettre à la place du monstre, le livre est aussi une puissante réflexion sur le pouvoir et les limites de la littérature pour panser nos blessures.
| La reconversion de l’année : Panayotis Pascot, La prochaine fois que tu mordras la poussière
Plus de 100 000 exemplaires vendus. Avec La Prochaine fois que tu mordras la poussière, le jeune humoriste de vingt-cinq ans Panayotis Pascot a créé la sensation lors de la rentrée littéraire. Son premier livre, désarmant de sincérité, dissèque sans concession le lien au père, explore les affres de la dépression et raconte la difficile quête d’identité sexuelle. Il est surtout le sublime roman d’apprentissage d’un adolescent qui ne sait pas comment aimer. La langue crue, le sens de la formule, hérité du stand-up frappent en plein cœur. L’acte de naissance d’une icône générationnelle, porte-voix d’une jeunesse inquiète et désenchantée.
| Le comeback de l’année : Bret Easton Ellis, Les éclats
Qui dit rock star, dit come-back flamboyant. La surprise littéraire de l’année est tout sauf un inconnu, au contraire, c’est une légende qui renaît de ses cendres. Les Éclats est un bijou vintage qui nous replonge dans l’adolescence de Bret Easton Ellis et dans la jeunesse dorée du Los Angeles des années 80. Récit d’apprentissage nostalgique, coming out sexy et sexuel, polar paranoïaque haletant qui jongle entre réalité et illusion : Le Prince des ténèbres use de toute sa magie noire pour nous ensorceler à nouveau.
| Le perdant magnifique de l’année : Gaspard Koenig, Humus
On a croisé le doigts jusqu’au bout mais Gaspard Koenig est rentré bredouille de la course aux grands prix d’automne. Il repart avec l’Interallié comme lot de consolation. Satire de l’époque, fresque balzacienne, Humus est pourtant un coup de maître qui raconte le destin chahuté de deux amis étudiants en agronomie engagés pour l’écologie. Un fils d’ouvrier propulsé dans le monde impitoyable des start-up et un petit bourgeois qui fantasme le retour à la terre. Brillant, insolent et follement romanesque.
| La première fois de l’année : Juliette Oury, Dès que sa bouche fut pleine
A 34 ans, la primo-romancière Juliette Oury donne à lire avec Dès que sa bouche fut pleine, une des œuvres les plus inventives et les plus puissantes de la rentrée. Elle imagine, dans un futur proche, un monde dystopique dans lequel la place de la nourriture et du sexe sont inversées. Manger est devenu un acte obscène et tout ce qui se rapporte à l’alimentation doit être dissimulé. Le sexe lui s’expose partout, se partage, il rythme notre quotidien et notre vie publique. Dans un mélange de provocation et de fureur, elle interroge la place du plaisir dans une société où les femmes sont constamment écartelées entre leur soif de liberté, leurs désirs refoulés et la culpabilité que leur impose des normes corsetées. Brillant.
| La BD de l’année : Hayao Miyazaki, Le Voyage de Shuna
Étrange de voir figurer tout en haut de notre classement des BD, le pape de l’animé japonaise, le cofondateur du Studio Ghibli, un homme qui se rêvait plutôt en mangaka. Un peu par surprise les éditions Sarbacane ont publié à la toute fin de l’année une œuvre inédite d’Hayao Miyazaki, un roman graphique et un conte mystérieux publié il y a plus de quarante ans et qui était jusque-là inédit en France. En s’inspirant d’un conte folklorique tibétain, Le Prince qui fut changé en chien, le réalisateur cette année du bouleversant Le Garçon et le héron raconte l’épopée d’un jeune homme à la recherche de graines dorées permettant de fertiliser les champs de son royaume aride et stérile. Une merveille où l’on trouve la source de ce que deviendra tout son œuvre, que ce soit par sa poésie, par ses thèmes, ou même son bestiaire.
| Le manga de l’année : Blue Lock
Oubliez One Piece, Jujutsu Kaisen ou encore Slam Dunk, le manga le plus vendu de l’année 2023 au Japon se nomme Blue Lock. Un manga sportif consacré au foot avec un angle original puisqu’il raconte la destinée du programme ultra sélectif Blue Lock, un centre de formation révolutionnaire rassemblant les 300 meilleurs attaquants lycéens du pays. Une guerre sans merci pour dénicher la nouvelle star de l’équipe nationale du Japon.
| Le roman qui n’est pas un roman de l’année : David Grann, Les naufragés du Wager
En plus de la sortie du film évènement de Martin Scorsese, Killer of the Flower Moon, adapté de son livre phare, le journaliste du New Yorker et éblouissant narrateur du réel a signé un retour fracassant avec Les Naufragés du Wager. Une tragédie maritime restée dans les annales de la Marine Britannique, un naufrage, de l’anthropophagie, un meurtre et un procès historique où les récits des survivants s’affrontent : Cette épopée a tous les ingrédients d’un futur blockbuster et résonne fort à l’époque de post-vérité où on ne sait plus qui croire.
| Le polar de l’année : Silence de Dennis Lehane
Mystic River, Gone Baby Gone, Shutter Island : ces films culte portent tous la marque d’un génie du polar qui a inventé ces histoires, le romancier américain Dennis Lehane. Après six ans d’absence, l’écrivain préféré d’Hollywood n’a rien perdu de sa plume diabolique. En 1974, dans un Boston en proie aux émeutes racistes et prêt à s’embraser, il raconte la croisade d’une mère irlandaise enragée prête à tout pour retrouver la fille qu’on lui a enlevée. Roman noir survolté, quête féministe, fresque sociale corrosive, Le Silence a bien des histoires à raconter.
| La polémique de l’année : Julie Héraclès, Vous ne connaissez rien de moi
Tout avait commencé comme dans un rêve pour Julie Héraclès. En quelques semaines, la jeune écrivaine est devenue un des visages de la rentrée littéraire. Récompensé du prestigieux prix Stanislas du premier roman, Vous ne connaissez rien de moi avait subjugué le jury de critique et les lecteurs par sa plume virtuose et par ce portrait de femme. Ce livre raconte par le menu l’existence chahutée de Simone Touseau, la tondue de Chartres présente sur la photo iconique de Robert Capa prise à la libération. Un récit déroutant dans lequel Julie Heraclès prenait un parti pris. Elle s’écartait des tumultes de la collaboration pour s’attarder sur le profil d’une femme étrange, obnubilée par ses obsessions personnelles plutôt que par le cours du monde. Très vite la beauté de la fiction s’est pourtant fracassée contre l’exigence de véracité des faits historiques et les voix se sont élevées pour dénoncer un portrait complaisant d’une femme qui fut, selon les dires de nombreux historiens, une collaborationniste notoire et une nazie convaincue. Au nom de la sacrosainte fiction, le roman peut-il s’arroger toutes les libertés ? Une question que l’on n’a pas fini de se poser.
| L’essai de l’année : A l’aube de nouveaux horizons de Nathalie A. Cabrol
L’astrobiologiste et directrice scientifique du centre SETI (Search for Extraterrestrial Intelligence ou Recherche d’intelligence extraterrestre) nous a offert l’un des ouvrages scientifiques les plus passionnants de ces dernières années. Stimulant mais accessible, A l’aube de nouveaux horizons répond à la question qui nous brûle les lèvres : sommes-nous seuls dans l’Univers ?