Autrice, compositrice, interprète, réalisatrice… Clara Ysé ne cesse au fil du temps de happer les foules pour les emmener vers la lumière. Révélée en 2019 grâce à Le Monde s’est dédoublé, un EP singulier et intemporel, l’artiste se distinguait par une voix haute et des arrangements imprégnés de musiques traditionnelles. Avec flamboyance, la jeune femme y pansait ses blessures dues à la disparition soudaine de sa mère, la psychanalyste et philosophe Anne Dufourmantelle.
Aujourd’hui, la musicienne, Clara Ysé, nous revient tel un phénix, avec un premier album rétro-contemporain bouleversant, un brin féministe et aussi intime qu’universel. Les dates de ses concerts affichent souvent complet. Comme une évidence, L’Éclaireur est allé à la rencontre de cette étoile montante de la chanson française, à la trajectoire fascinante.
Votre premier album Oceano Nox vient d’être salué par la presse musicale et le public suit. Les trois dates au Café de la danse, à Paris, affichent complet. Oceano Nox a réussi son envol. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Je suis très heureuse. Je me suis beaucoup investie dans la réalisation de cet album, donc ça me rend joyeuse de constater qu’il touche des gens. En ce moment, il n’y a rien de plus important pour moi que de voir les salles de mes concerts se remplir. Nous allons nous produire à la Cigale le 26 mars 2024. J’ai beaucoup de chance.
Le premier concert a déjà eu lieu, au Café de la danse, à Paris. Comment appréhendiez-vous cette date ?
Faire ce premier concert à Paris, ma ville, c’était particulièrement émouvant pour moi. Des journalistes, des professionnels, des anonymes, mais aussi beaucoup de proches sont venus m’écouter.
Au départ, j’ai flippé, mais finalement la veille du concert, je me suis dit que tout le monde savait que c’était un premier concert, avec ses failles, et que cette fragilité pouvait toucher le public. Cette première date, je la fantasmais depuis quatre ans, dès que j’ai commencé à travailler sur cet album. Ce soir-là, le public connaissait déjà les paroles, c’était magique.
L’idée que vous aviez d’Oceano Nox, il y a quatre ans, était-elle la même qu’aujourd’hui ?
Non, j’ai avancé pas à pas. En termes de production, j’ai tout misé sur l’intuition. Je voulais que l’album soit constitué à la fois de morceaux très dénudés comme des piano-voix, et d’autres beaucoup plus produits, des mélanges de cordes et de cuivres avec des sons plus électroniques. Pour composer, j’avance à l’aveugle, je tente, je cherche, jusqu’à trouver.
Votre musique se situe à la frontière de plusieurs genres musicaux, le reggaeton, le rebetiko ou encore les chants géorgiens. En résulte un son singulier, comment l’avez-vous créé ?
La recherche d’un son équivaut pour moi à celle d’un désir. Cet album est un mélange de toutes les sonorités qui m’ont émue jusqu’à présent, comme celles issues des chants géorgiens ou du rebetiko. Je les ai sorties de leur milieu d’origine pour les intégrer à ma musique, comme le Duduk. On retrouve énormément cette flûte dans la musique traditionnelle arménienne.
Quand ils en jouent, les musiciens respectent des codes très précis, ce qui n’est pas mon cas. Cet instrument me fait chialer, et c’est principalement la charge émotionnelle qui en émane qui m’intéresse. J’adore aussi la musique sud-américaine et ses grandes voix comme celles de Chavela Vargas ou Mercedes Sosa. Je m’en suis imprégnée, ça s’entend dans la façon dont j’utilise ma voix. L’espagnol est une langue très directe, faite pour le chant. Elle résonne autant à l’intérieur de nous qu’à l’extérieur. On retrouve aussi dans cet album mon amour pour la fête et le reggaeton, davantage constitué de textures électroniques. Dans tous les cas, je vais chercher l’émotion dans ces sons.
Le Monde s’est dédoublé (2019) est une chanson intemporelle dans laquelle tout le monde peut se projeter, mais elle est aussi liée au décès de votre mère, la psychanalyste et philosophe Anne Dufourmantelle, qui s’est noyée après être allée porter secours à des enfants. Ce titre est le seul de votre EP à se retrouver dans cet album. Pourquoi avez-vous choisi de le conserver tout en le réarrangeant ?
Dans cette chanson, je parle d’un état de sidération provoqué suite à une émotion négative ou positive très forte, au point d’avoir la sensation de sortir de son corps. Je souhaitais parler de cet état, dans lequel je me suis trouvée, mais aussi de comment des voix amicales m’ont ramenée à la réalité. Je voulais qu’Oceano Nox soit constitué uniquement de nouvelles chansons, mais celle-ci, en la réarrangeant, me permettait de faire le pont entre mes débuts et cet album, et ainsi de guider les gens qui avaient pu m’écouter par le passé vers cet aboutissement.
Votre album s’intitule Oceano Nox, deux mots savamment choisis. Victor Hugo les avait aussi utilisés pour titrer un de ses poèmes issus du recueil Les Rayons et les Ombres (1840). D’où viennent-ils ?
J’ai choisi ce titre pour deux raisons différentes. La première : il me vient d’un vers de l’Énéide de Virgile (19 av. J.-C.) que j’adore : « Et ruit oceano nox / Et la nuit s’élance de l’océan ». Cette formule sublime résume assez bien les textes de l’album, qui parlent beaucoup de la façon dont nous transformons les éléments qui se sont brisés en nous pour nous reconstruire. C’est un album sur le désir et la transformation. La deuxième : Oceano et Nox, ces deux mots viennent du latin, mais semblent provenir d’une langue futuriste, à l’instar de ma musique qui est un mélange de sonorités anciennes et contemporaines.
Constitué d’ombres et de lumière, Oceano Nox évoque un clair-obscur. Cette définition vous convient-elle ?
Oui, complètement ! Je dirais même un obscur-clair. Cet album est un chemin qui va de l’obscurité vers la lumière. Il y est question de la part sombre qui nous habite, sur laquelle nous avons du mal à mettre des mots et sur la façon de s’en affranchir. C’est un album plein de contrastes.
Comme celui entre l’eau et le feu, deux éléments qui reviennent souvent dans vos textes. Le feu est au cœur de la chanson Pyromanes, mais aussi de votre roman Mise à feu (Grasset, 2021). En quoi ces deux éléments vous inspirent-ils ?
Ils m’inspirent plein de choses que je ne sais pas formuler avec des mots, sinon je ne les mettrais pas en musique. Cet album évoque une plongée dans les profondeurs des océans et la remontée à la surface, vers le Soleil, le feu, tel un phénix. C’est une renaissance. Pour moi, le feu a un côté chaleureux, alors que l’eau est liée à la mélancolie.
Vous avez écrit un roman, vous êtes également autrice-compositrice-interprète, vous avez réalisé trois de vos clips… Y a-t-il d’autres médiums qui vous intéressent ?
Tous les médiums liés à la transformation m’intéressent. Pour moi, depuis l’enfance, l’écriture et la musique sont intimement liées. Mon père est peintre, je l’observais travailler étant gamine. Cet intérêt pour l’image me vient sûrement de lui. L’image a aujourd’hui un énorme pouvoir. Certaines personnes arrivent dans la musique par les clips. Ils influencent leur façon d’en écouter. Je souhaitais donc poursuivre ma démarche jusque dans leur réalisation, ce que j’adore faire. La façon de travailler est la même, il faut fédérer des gens autour de soi, constituer une équipe autour d’un projet qui émerveille.