Plus de 30 ans après la parution du premier tome de la saga de Kingsbridge, l’écrivain gallois clôt son œuvre culte avec un dernier opus éblouissant et confirme son statut de roi du roman historique et de géant de la littérature mondiale.
Peut-on encore être une rock star quand on est écrivain ? La réponse tient en deux mots : Ken Follett. Partout où il passe, l’écrivain est accueilli comme une quasi-divinité, un monstre sacré qui s’est immiscé dans la vie des lecteurs et lectrices du monde entier avec des histoires qu’on croirait dotées de pouvoirs surnaturels tant elles nous envoûtent et nous bouleversent.
190 millions d’exemplaires vendus depuis ses débuts, une fortune colossale, une vie mondaine qui le fait côtoyer tous les puissants de ce monde, un style flamboyant, incarnation du chic britannique : la panoplie complète de l’icône de son temps. Retour sur les pas d’un romancier gallois devenu un géant de la littérature.
Une saga pour les gouverner toutes
Septembre 1990. Ken Follett vient d’entrer dans la quarantaine et a déjà connu quelques succès d’estime. Quelques années auparavant, il a fait parler de lui avec le polar L’Arme à l’œil, prix Edgar Allan Poe du meilleur roman 1979 et best-seller en librairie. En pleine rentrée littéraire, il débarque en France avec un roman d’un tout autre genre intitulé Les Piliers de la Terre. Une œuvre étonnante, imposante, un récit historique de près de 1 000 pages, séparé en deux tomes, qui nous plonge au cœur du Moyen-Âge, au XIIe siècle, et raconte la construction d’une gigantesque cathédrale dans la ville fictive de Kingsbridge, au sud-ouest de L’Angleterre.
Inspirée par de véritables événements historiques comme le naufrage de La Blanche-Nef ou l’assassinat de l’archevêque Thomas Becket, son livre labyrinthique est un condensé de tout ce qui fait le sel des grandes épopées médiévales : une intrigue politique qui met en scène les tensions entre la monarchie et l’Église, une fresque sociale qui dépeint toutes les couches de la société à travers une galerie de personnages hauts en couleur, une fable humaniste qui entremêle ambitions du pouvoir, rivalités familiales et passions amoureuses.
En quelques semaines à peine, c’est un raz-de-marée. Les lecteurs et lectrices du monde entier s’arrachent les deux tomes, intitulés Ellen et Aliéna. Une communauté de passionné·e·s se rassemble, des lecteur·rice·s obsédé·e·s par les écrits du romancier gallois, qui scrutent chaque recoin de son œuvre pour dénicher un détail, un secret, une anecdote que personne d’autre n’a vue. Des dizaines de millions de lecteur·rice·s, des jeux de société, des jeux vidéo et même une série télévisée : c’est la Follettmania.
Peut-être est-ce la pression liée au succès gigantesque ou tout simplement l’envie d’écrire d’autres romans, moins denses, avant de revenir à son œuvre phare, toujours est-il que Ken Follett met 18 ans à écrire la suite de la saga de Kingsbridge. Dix-huit ans d’une attente interminable pour ses fans, qui sera heureusement récompensée par un roman à la hauteur des espérances.
Un monde sans fin paraît en 2008 et fait un bond deux siècles plus tard. En pleine épidémie de peste noire, quatre enfants sont témoins d’une poursuite meurtrière qui pourrait faire basculer le sort de la couronne d’Angleterre. L’auteur applique la même recette avec une maestria éblouissante. Un sens rare du romanesque doublé d’une richesse historique impressionnante.
L’écriture de ces œuvres denses, monumentales, lui coûte, puisqu’il faudra à nouveau patienter neuf ans pour découvrir le troisième volet de cette série au long cours. En 2017, Ken Follet signe un retour inespéré dans le comté de Kingsbridge avec Une colonne de feu et joue avec le même procédé temporel, comme s’il voulait explorer l’évolution et les mutations de cette ville à travers le temps. L’intrigue se déroule cette fois à cheval entre le XVIe et le XVIIe siècle, au beau milieu d’un conflit entre protestants et catholique symbolisé par la lutte d’influence entre Elizabeth Tudor et Marie Stuart. Une époque sanglante pour l’opus le plus violent de la série.
Une fin en apothéose
Pendant longtemps, Ken Follett a longtemps laissé croire qu’Une colonne de feu était le point final des aventures de Kingsbridge. Mais on revient toujours à ses premiers amours. En 2020, à la surprise générale, l’écrivain réalise le rêve de millions de lecteurs et de lectrices en faisant paraître Le Crépuscule et L’Aube, un roman conçu comme le prequel de sa trilogie emblématique. Une autre fresque historique qui remonte loin, aux premières lueurs du second millénaire, à l’époque de la fondation de la ville de Kingsbridge.
Trois ans plus tard, l’aventure continue à nouveau. Enfin, elle se termine. Cette fois, il est temps de faire ses adieux pour de bon à la petite bourgade anglaise. Avec Les Armes de la lumière, Ken Follett réussit une conclusion en apothéose avec un ultime voyage dans le temps, cette fois dans la période la plus faste de l’histoire britannique, l’industrialisation du début du XIXe siècle.
Dans une Angleterre tyrannique, obnubilée par la réussite commerciale et prête à mener une guerre sans merci à Napoléon, le peuple est écrasé par l’impitoyable course à la puissance et à la modernité. Entre Zola, Balzac et le Guerre et Paix de Tolstoï, Ken Follet réussit sa fresque la plus épique, un grand roman de la Révolution et de la guerre.
Le maître incontesté du roman historique
Cantonner Ken Follet à sa saga de Kingsbridge serait une grave erreur. Si le romancier gallois est devenu une icône, c’est aussi parce qu’il n’a jamais cessé de s’aventurer dans de nouvelles contrées romanesques. Toujours animé par la flamme du récit historique, il a baladé sa plume à travers presque toutes les époques, façonnant ses intrigues au cœur des grands événements de l’histoire mondiale.
La Nuit de tous les dangers (1991), Code Zéro (2001), Le Réseau Corneille (2002) : son œuvre regorge de one shot haletants, des romans d’espionnage et des polars qui se déroulent dans les heures sombres de la Seconde Guerre mondiale ou de la guerre froide et qui font la part belle à celles et ceux qui se battent pour la liberté.
Mais il faut surtout ici souligner son autre saga à succès, la trilogie Le Siècle. Une œuvre tout aussi ambitieuse que Les Piliers de la Terre, qui croise, dans les tumultes du XXe siècle, les destinées tragiques des familles Dewar aux États-Unis, Leckwith-Williams en Angleterre, Franck en Allemagne et Dvorkine-Pechkov en Russie.
Avec La Chute des géants, L’Hiver du monde et Aux portes de l’éternité, trois monuments parus en 2010, 2012 et 2014, Ken Follett a définitivement inscrit son nom au tableau des grands conteurs de notre temps, capables de faire naître les histoires intimes les plus déchirantes au sein d’une grande histoire universelle qui les dépasse.
En 40 ans de carrière, une cinquantaine de romans et deux sagas passées à la postérité, il a construit un monument de papier presque aussi imposant que la cathédrale de Kingsbridge, une œuvre de fiction unique au monde qui s’étale sur presque un millénaire, une grande fresque de l’humanité.