Ils se sont insinués partout. Soi-disant pour nous faciliter la vie ou nous la rendre meilleure. Mais ils deviennent de plus en plus envahissants, au point de créer un écosystème numérique bien monotone.
À l’ère du tout-numérique, les algorithmes de recommandation se sont insidieusement glissés dans chaque recoin de notre quotidien. Chaque clic, chaque écoute, chaque achat est sous l’emprise de ces gardiens du digital qui dictent nos choix sur des plateformes comme Spotify, Netflix ou Amazon.
Leur but affiché ? Simplifier notre vie en s’occupant de la curation dans une marée d’informations. Mais, dans l’ombre, cette omniprésence pose question. Sommes-nous face à un assistant bienveillant ou à un dictateur silencieux ? Alors que la dépendance à ces systèmes croît, le temps est venu de décrypter leur influence sourde sur notre culture et nos décisions. Face à cette invasion algorithmique, une enquête s’impose sur le véritable rôle et l’impact de ces machines à recommander.
Données, données-moi
Les statistiques révèlent à quel point les algorithmes de recommandation ont envahi notre quotidien numérique. 80% de ce qu’on regarde sur Netflix est par exemple motivé par les recommandations personnalisées. Et nombreuses sont les séries originales de Netflix qui sont renouvelées pour une nouvelle saison. Ce n’est pas de la chance. La plateforme utilise les données et les puissants algorithmes de recommandation dont elle dispose pour suggérer le contenu adéquat à chaque public. Le bon visuel, au bon moment, la bande-annonce qui donne envie, le scénario étudié à la loupe… tout est affaire d’analyse de données. Et ça marche : Netflix affiche un taux de fidélisation de la clientèle de 72 % sur 6 mois (contre 62 % pour Disney+).
Il serait naïf de penser que les suggestions sans cesse plus présentes dans les fils des réseaux sociaux n’ont pas d’influence sur notre façon de penser ou sur notre perception du monde. Que se voir suggérer sans cesse plus de messages haineux sur Twitter ou ailleurs, de posts issus toujours du même bord politique ou encore de photos de femmes répondant toujours aux mêmes standards de beauté n’affecte pas notre cerveau.
Même son de cloche chez YouTube, où les recommandations influent sur 70 % de ce qui est regardé sur le service de streaming en 2022, selon le MIT Technology Review. Mais cela fonctionne aussi pour le e-commerce. Tous ces chiffres témoignent de l’efficacité redoutable de ces systèmes dans le guidage de nos comportements en ligne.
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Une vie sociale sous algorithme
Ces algorithmes influencent non seulement nos achats, mais également notre perception du monde. Les recommandations de Facebook, par exemple, peuvent façonner les nouvelles et informations auxquelles sont exposés près de 2,9 milliards d’utilisateurs mensuels actifs. Les plateformes de streaming musical, telles que Spotify, façonnent les goûts musicaux de millions d’auditeurs, avec un peu moins de la moitié des écoutes (48 %) guidées par leurs playlists algorithmiques. Il devient alors évident que ces systèmes ont un rôle prédominant dans la construction de nos univers numériques. Et de nos univers tout court.
Une dernière conséquence de cette omniprésence de recommandations, c’est l’homogénéisation culturelle. En proposant continuellement des contenus similaires basés sur des préférences populaires, ces systèmes réduisent, même involontairement, la diversité culturelle.
Il serait naïf de penser que les suggestions sans cesse plus présentes dans les fils des réseaux sociaux n’ont pas d’influence sur notre façon de penser ou sur notre perception du monde. Que se voir suggérer sans cesse plus de messages haineux sur Twitter ou ailleurs, de posts issus toujours du même bord politique ou encore de photos de femmes répondant toujours aux mêmes standards de beauté n’affecte pas notre cerveau.
D’autant plus que la question de la manipulation des choix se pose : ces algorithmes, loin d’être de simples outils neutres, sont souvent conçus pour maximiser les profits des entreprises, pouvant ainsi orienter les utilisateurs vers des contenus ou produits spécifiques plutôt que d’autres. Ils peuvent aussi reproduire ou amplifier des discriminations, marginalisant certaines voix et favorisant d’autres. Ces problématiques éthiques rappellent la nécessité d’une régulation et d’une prise de conscience collective face à l’omnipotence algorithmique.
Les effets secondaires : l’overdose ?
La promesse initiale de ces systèmes de recommandation était de filtrer le « bruit » et d’offrir une expérience personnalisée à l’utilisateur. Toutefois, à force de ciblage précis, on aboutit parfois à l’effet inverse : une overdose d’informations extrêmement ciblées, créant un sentiment de saturation. Cette boucle continue et similaire limite non seulement notre horizon, mais crée aussi un écosystème numérique monotone, sans surprises ni découvertes.
L’un des problèmes majeurs engendrés par cette overdose est la création de « bulles de filtres ». Il s’agit d’écosystèmes d’informations dans lesquels l’utilisateur est enfermé, ne recevant que des contenus alignés sur ses préférences passées ou ses croyances préexistantes. Le danger est double : d’une part, l’utilisateur est isolé des opinions ou informations contradictoires. D’autre part, il est constamment conforté dans ses idées, ce qui peut entraîner une polarisation et une dépendance numérique.
Il semble aujourd’hui impératif d’instaurer un équilibre entre pertinence et diversité dans les recommandations, permettant aux utilisateurs d’être exposés à une variété de contenus tout en respectant leurs préférences.
Les algorithmes créent un autre problème : la surcharge d’info. Plutôt que d’aider à filtrer et simplifier, ils peuvent parfois nous submerger avec une multitude de suggestions, rendant la prise de décision encore plus difficile. Cette paralysie de l’analyse, où le choix abondant devient un fardeau, vient totalement en opposition par rapport à l’objectif initial : nous simplifier la vie.
Enfin, une dernière conséquence de cette omniprésence de recommandations, c’est l’homogénéisation culturelle. En proposant continuellement des contenus similaires basés sur des préférences populaires, ces systèmes réduisent, même involontairement, la diversité culturelle. On a « tous » regardé Stranger Things ou La Casa de Papel au même moment, on suit « tous » plus ou moins les mêmes trends sur TikTok et « tout le monde » a eu à écouter jusqu’à saturation un extrait de As It Was d’Harry Styles ou de Makeba de Jain dans les Reels et Stories d’Instagram.
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On en arrive à une overdose de recommandations qui, initialement, promettaient une mer d’opportunités. In fine, elles risquent de nous enfermer dans un étang stagnant. Un marécage limitant notre curiosité et notre capacité à explorer de nouvelles perspectives. Ces algorithmes ont été créés pour nous fidéliser, nous scotcher sur le canapé, à regarder série après série, écouter toujours plus de musiques similaires ou de podcasts sur des thématiques spécifiques.
Il semble aujourd’hui impératif d’instaurer un équilibre entre pertinence et diversité dans les recommandations, permettant aux utilisateurs d’être exposés à une variété de contenus tout en respectant leurs préférences. L’annonce de TikTok de se plier aux exigences du DSA (Digital Service Act) européen en proposant, en option, la possibilité de désactiver son algorithme de recommandation de contenus semble ici une bonne nouvelle. Il importe aussi de faire le clair sur les mécanismes des algorithmes. Permettre aux utilisateurs de les ajuster ou de les désactiver sont des étapes essentielles vers un usage plus conscient.