Bien que largement prévisible, la fin de l’hégémonie des appareils photo reflex semble avoir été actée par Canon il y a quelques semaines seulement, avec l’annonce de l’EOS R3. En s’adressant notamment aux photographes de sport, ce dernier constitue en effet le premier boîtier hybride d’une marque historique de la photographie à oser défier les reflex sur un terrain qui leur a été longtemps réservé.
Si les reflex et les hybrides s’accordent sur leur statut d’appareils photo à objectifs interchangeables, une caractéristique spécifique les différencie : leur système de visée. Comme leur nom l’indique, les premiers bénéficient d’une visée reflex, dispositif optique inauguré dès les années 1930 et largement mis en pratique depuis les années 1950. Proposant un petit écran à la place de ce dispositif, les seconds s’équipent d’un système de visée électronique dont les débuts auprès des photographes professionnels se sont révélés bien difficiles. Ce sont pourtant ces mêmes professionnels – et plus précisément les adeptes de photographie de sport et de performances photographiques de haute volée – que tente aujourd’hui de séduire une nouvelle génération d’appareils hybrides.
Le règne prospère des reflex
La longue hégémonie des reflex reposait notamment sur un avantage clair : un système de visée qui offre à la fois précision et confort. Relativement complexe et imposant, le dispositif en question fonctionne de la façon suivante : une fois que la lumière de la scène photographiée a traversé l’objectif, un miroir – intégré au boîtier et positionné à 45° – projette l’image du sujet en direction d’un verre de visée puis d’un pentaprisme (ou pentamiroir), de façon à ce que celle-ci soit observable dans le viseur. Lorsque le photographe place son œil dans ce dernier, il observe donc une représentation fidèle de la scène photographiée.
Malgré l’encombrement qu’elle engendre, cette caractéristique a logiquement fait du reflex l’appareil professionnel par excellence. Si l’archétype du photojournaliste est parfois équipé d’un appareil à visée optique directe – tels que les emblématiques boîtiers à mise au point télémétrique Leica –, l’image du photographe de sport, du photographe animalier, du photographe de mariage ou encore du portraitiste est aussi largement associée au reflex. Notons que les grandes marques de la photographie ont bien entendu participé à ce phénomène. D’une part parce que les reflex se sont révélés être les réceptacles idéaux pour leurs technologies les plus avancées, mais aussi parce que leurs diverses campagnes publicitaires ont grandement façonné notre imaginaire collectif.
La lente montée en puissance des hybrides
C’est au cours de l’année 2008 qu’apparaît le premier appareil photo hybride – à noter que les anglophones utilisent le terme mirrorless (« sans miroir ») dont le sens paraît plus évident. Conçu par Panasonic, le Lumix DMC-G1 parvient à se faire étonnement compact, notamment grâce au remplacement de l’encombrant système de visée optique des reflex par un viseur électronique. Cet appareil original inaugure de plus le système micro 4/3 élaboré en collaboration avec Olympus, défini par l’adoption d’une monture d’objectif et d’une taille de capteur communes. Ce standard se montre rapidement prolifique et incite Fujifilm, Sony et même Samsung à se joindre à la fête avec des hybrides dotés d’un capteur APS-C.
Si des incursions de Canon et Nikon au sein du marché des hybrides existent dès le début des années 2010, elles se montrent plus timorées. En effet, les deux constructeurs semblent alors soucieux de ne pas mettre en péril des gammes d’appareils reflex bien installées depuis plusieurs décennies. Il faut ainsi attendre la fin de l’année 2018 pour qu’ils dévoilent tour à tour leurs premiers appareils hybrides plein format – l’EOS R pour Canon, les Z 6 et Z 7 chez Nikon. Moins traditionnaliste, car plus connu pour son activité d’électronicien, Sony a pour sa part agi en tant que véritable défricheur du marché en annonçant l’A7 et l’A7R – soit les tout premiers hybrides 24×36 – dès 2013, puis en développant une gamme complète d’appareils au cours des années suivantes.
Bien que l’attrait pour les reflex soit encore justifié, les technologies incorporées aux appareils hybrides ont aujourd’hui bien mûri : les viseurs électroniques ont gagné en confort et l’absence de dispositif optique de visée a permis des avancées notables en termes de mise au point automatique. La perception des photographes a de plus évolué à un point tel que certains hybrides sont désormais qualifiés d’outils professionnels.
C’est dans ce contexte que Canon a annoncé l’EOS R3 et que Nikon s’apprête à dévoiler le Z 9, des appareils qui marchent sur les plates-bandes des plus perfectionnés des reflex de ces deux mêmes constructeurs. Outre ces derniers, Pentax et Leica sont d’ailleurs les seuls fabricants d’appareils photo qui proposent encore une gamme marginale de reflex… Voilà des signes qui ne prédisent pas la mort d’un système, mais qui annoncent sans doute aucun la fin de son hégémonie.